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rait dû lui faire entendre n’ont jamais été dites; à cette heure encore, elles sont demeurées sur ses lèvres. Il étouffe le bruit de ses pas et s’avance jusqu’au rideau de mousseline. Tout est clarté dans la chambre et obscurilé au dehors : il peut voir tous les mouvemens de Mara comme à travers un nimbe transparent. Elle prépare son coffre de marin; tous ses habits sont autour d’elle, pliés ou roulés artistement. Il la voit prendre un crayon, écrire sur ses genoux quelques mots dans un livre, puis envelopper avec soin ce livre dans du papier de soie, l’attacher avec dextérité et le cacher tout au fond du coffre. Elle demeure alors quelques momens à genoux devant le coffre, la tête cachée dans ses mains. Un sentiment de respect inconnu s’empare de Mosès quand un faible bruit, arrivant jusqu’à lui, lui révèle que Mara élève son âme vers ce Dieu dont il ne ressent jamais, dont il n’admet pas la présence. Il lui semble qu’il fait injure à sa jeune amie en l’observant avec cette curiosité alors qu’elle se croit seule avec Dieu. Une sorte de vague remords remplit son cœur : il lui semble que Mara est trop au-dessus de ce qu’il vaut. Il retourne sur ses pas, entre dans la maison, et, marchant à petit bruit, il met la main à la serrure de sa porte. En ouvrant, il entend un léger frémissement, comme si quelqu’un se levait avec précipitation : le voilà en face de Mara. Il avait arrêté dans son esprit ce qu’il devait lui dire; mais en la voyant debout devant lui, l’air surpris et l’œil interrogateur, ses idées se brouillent.

« — Quoi! de retour si tôt ! dit Mara.

« — Vous ne m’attendiez donc pas?

« — Non, certes : pas avant deux bonnes heures encore, répond-elle. Et, jetant les yeux autour d’elle, elle reprend : — J’ai trouvé quelques petites réparations à faire à vos effets. Si vous aviez tardé autant que je le croyais, vous auriez retrouvé tout en place, et ne vous en seriez même pas aperçu.

« Mosès s’assit et attira Mara à lui, comme s’il avait quelque chose à lui dire; puis, la parole lui manquant, il se mit à jouer, sans savoir ce qu’il faisait, avec la boîte à ouvrage de Mara.

« — Grâce pour ma boîte, je vous en prie! dit celle-ci malignement; vous savez combien je suis vieille fille, quand il s’agit de mes petites affaires.

« — Mara, dit Mosès, on vous a demandée en mariage, n’est-ce pas?

« — On m’a demandée en mariage!... J’espère bien que non. Quelle singulière question!

« — Vous savez ce que je veux dire. On vous a fait des propositions de mariage : M. Adams, par exemple...

« — Eh bien?

« — Vous ne les avez pas agréées?

« — Non.

« — Et cependant c’était un beau garçon, m’a-t-on dit, et qui avait tout ce qu’il fallait pour vous rendre heureuse.

« — Je le crois, répondit tranquillement Mara.

« — Et pourquoi avez-vous fait cette folie?

« Mara fut froissée de cette question : elle pensa que Mosès venait lui annoncer qu’il était accordé avec Sally, et qu’il la voulait préparer à cette nouvelle. Elle répondit : — Je ne sais pourquoi vous appelez cela une folie.