Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/969

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’agite dans son âme, ce qui est sa douloureuse essence. C’est une société ainsi faite que le marquis Wielopolski a entrepris de gouverner et de soumettre par sa rudesse hautaine, par les calculs de sa politique, par des qualités sans doute puissantes, mais négatives, et il est arrivé ce qu’il dit, « qu’au lieu de trouver un appui dans la masse des hommes capables, sensés et aimant le bien public, dès qu’il est arrivé au pouvoir, il a rencontré des milliers de colères, de haines et de malédictions. » Je ne sais, puisque j’ai parlé du Piémont, s’il est venu à l’esprit du marquis Wielopolski qu’il y aurait place aussi au nord, quoique dans des conditions différentes, pour le rôle et l’action d’un comte de Cavour; on l’a dit quelquefois, on l’a soupçonné. Je ne parle pas de la différence des situations; mais M. de Cavour avait en lui-même ce point par lequel un homme d’état est en communication avec un peuple; au milieu de toutes ses combinaisons, il avait l’âme libérale et sympathique, et c’est ce qui a fait sa puissance. Il n’est point enfin jusqu’à cette haine de l’Occident, érigée par le marquis Wielopolski en système, qui ne soit un des embarras de sa politique. La Pologne a souffert de l’indifférence et de l’abandon : elle n’a point été secourue; elle ne tient pas moins à l’Europe par les traditions, par la civilisation, par la religion; vingt fois déçue, elle n’a point désespéré, et au fond d’où vient qu’elle se relève à demi aujourd’hui, que tout ce qui la touche redevient une question, si ce n’est des mouvemens contemporains de l’Occident, de cet avènement du droit des nationalités qui se fait reconnaître, qui ébranle toutes les vieilles organisations? Le marquis Wielopolski lutte ainsi contre tout, contre les circonstances, contre l’instinct d’un peuple, contre lui-même, contre les espérances que toute une situation européenne réveille et entretient.

De là cette condition étrange d’un homme qui a besoin de la force de la Russie pour maintenir la Pologne, pour marcher à la réalisation de son système, mais qui a besoin aussi de ce mouvement polonais, qu’il s’efforce de maîtriser, pour se soutenir vis-à-vis du gouvernement russe, — d’un homme dont la politique est moins l’expression des vœux, des besoins véritables d’une société, que le triomphe d’une personnalité débordante, implacable et superbe, qui arrive avec une redoutable naïveté à ne voir qu’elle et à considérer toute résistance comme un effort anarchique à briser. De là aussi le cercle vicieux d’efforts et d’impossibilités où il se débat, où le bien même qu’il fait laisse froid, où la lutte est au fond de tout. Je ne vois qu’une chose assez vraie dans une récente brochure française sur le grand-duc Constantin, le marquis Wielopolski et les Polonais, c’est ce que dit l’auteur : « La Pologne est devenue une sorte de champ clos où le gouvernement use ses forces contre la révolu-