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et les allocations annuelles du budget furent consacrées à cette transformation. L’Océan n’a point encore franchi la barrière qu’on lui a posée, et l’on peut espérer désormais qu’il la respectera. Cependant les vagues, qu’on dirait acharnées à la destruction de cet obstacle qui les gêne, usent tour à tour de force et de ruse pour en venir à bout. Elles déplacent les blocs de béton, enlèvent les sables, lézardent les murailles, y poussent dans tous les sens leurs travaux de sape et de mine, dénouent ces fascines si habilement tressées, et bondissent par-dessus les constructions pour attaquer la plage qui s’étend au-delà. Pour combattre l’effet de ces dégradations continuelles, il faut aussi de continuelles réparations ; mais un nombre d’ouvriers peu considérable suffit à ce travail d’entretien. Au besoin, si la mer venait encore à se frayer un passage à travers une partie de la jetée, on pourrait encore l’arrêter au moyen d’une seconde pyramide de blocs semblable à celle que l’on a déjà élevée et qui restera comme un monument séculaire de la puissance des flots dans le golfe de Cordouan.

A la Pointe-de-Grave, la lutte n’a guère été moins vive entre à mer et la volonté de l’homme. Pour défendre la plage contre les érosions, le premier ingénieur chargé de la direction des .travaux appliqua aussi le système des épis perpendiculaires à la côte. Sur la partie du rivage maritime qui s’étend à 2 kilomètres au sud de la Pointe-de-Grave proprement dite, il fit construire à des distances respectives d’environ 150 mètres quatorze épis semblables à ceux de l’anse des Huttes, mais un peu moins longs. A la pointe même, il remplaça l’épi par une jetée de 120 mètres de long, composée de blocs artificiels et naturels pesant chacun de 800 à 2,400 kilogrammes. Ces blocs, qu’on a précipités dans la mer du haut des wagons de transport, se sont entassés les uns sur les autres de manière à former des deux côtés de la jetée des talus qui ressemblent aux éboulis rocheux des montagnes. Les pierres de la base qui supportent la masse énorme du brise-iames restent dans un pittoresque désordre, tandis que les blocs supérieurs, cimentés au moyen de chaux hydraulique, portent une large chaussée sillonnée par des voies de fer. L’extrémité sous-marine de la jetée se continue au loin sous les eaux par des entassemens de rochers que des chaloupes viennent déposer quand la mer est favorable. Telle est cependant la violence des lames que ces rochers, qui pèsent en moyenne près de 2 tonnes, sont très souvent déplacés par le choc du jusant et du flot de marée, et sont entraînés en dérive dans la direction du large. Sous le choc des vagues, la jetée elle-même se fendille çà et là dans toute sa largeur, et les ouvriers doivent de temps en temps recharger les talus, maçonner les lézardes, consolider les blocs dont l’équilibre est menacé; parfois aussi les eaux creusent sous les ro-