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ouest de la pointe actuelle. C’est sur le prolongement du Platin que se trouve le Saut-de-Grave, ainsi nommé parce que les vagues de marée et les eaux du courant de retour, connu sous le nom de Déroc, viennent s’y entre-choquer avec fureur.

Tandis que la mer rongeait l’extrémité de la presqu’île, elle cherchait en même temps à en percer la base. Au sud des rochers de Saint-Nicolas, exactement là où se trouve la partie la plus étroite de l’isthme qui réunit le massif de Grave au Médoc, les flots étaient occupés à creuser une large échancrure connue sous le nom d’anse des Huttes. De 1825 à 1854, la plage reculait de 350 mètres, soit d’environ 12 mètres par an. Au moment des basses mers, l’isthme des Huttes, qui se développe entre l’Océan et les marais salans du Verdon, avait encore 400 mètres de largeur; mais à l’heure du flot cette largeur était réduite à 290 mètres, et quand la tempête fouettait les vagues, celles-ci lançaient leur écume jusqu’au sommet des dunes de l’isthme étroit. Encore vingt-cinq années d’une marche aussi rapide, et l’Atlantique rompait enfin la frêle digue de sable que lui oppose le continent; il s’épanchait dans les marais de Soulac et du Verdon, et transformait en île tout le massif de Grave. La Gironde se réunissait à la mer par une deuxième embouchure, une nouvelle passe se creusait peut-être, et la génération actuelle pouvait contempler des phénomènes géologiques semblables à ceux qui s’accomplirent lorsque l’île de Cordouan, détachée du continent, se changea graduellement en écueil. Quelle influence le creusement d’une troisième passe eût-il exercée sur le régime de l’embouchure? Eût-il, comme semblent le craindre les hommes de l’art, diminué la force du jusant et contribué par suite à l’exhaussement des bancs de sable? Eût-il, au contraire, facilité le déblaiement des vases d’alluvions en ouvrant aux flots de la mer une nouvelle entrée plus courte et plus directe que les deux autres? On ne sait: mais, dans l’ignorance des résultats qu’aurait pu produire à la longue la formation de es troisième chenal, le plus simple était de maintenir l’état de choses actuel et d’assurer, par le salut de la péninsule de Grave, l’existence des deux excellentes passes que possède déjà l’embouchure de la Gironde. Il fallait aussi prévenir la ruine de toutes les propriétés publiques et privées situées sur la presqu’île; enfin, chose bien plus importante encore, il fallait laisser aux navires l’abri précaire que leur offre la rade du Verdon, déjà trop exposée à la violence des vents d’ouest par suite de l’érosion constante de la Pointe-de-Grave. C’est donc à bon droit qu’on résolut d’accepter la lutte avec l’Océan et de cuirasser la péninsule contre ses assauts à force de digues et de remparts. Une loi votée en 1839 affecta un premier crédit de 2,500,000 fr. à l’exécution des travaux de défense.

Cependant la mer est une terrible ennemie, et l’on peut facilement