Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nir l’assaut des flots fut seule bâtie avec la simplicité massive que demandait sa position au milieu des brisans. Le monument lui-même se composait d’un rez-de-chaussée de style dorique et d’un étage d’ordre composite, portant une galerie circulaire et surmonté d’une rangée de fenêtres à fronton, au-dessus desquelles s’élevait le fanal proprement dit. A l’intérieur, la chambre du roi, occupant tout le premier étage, et la chapelle, située immédiatement au-dessus, étaient richement décorées de sculptures et de médaillons. Toutes les salles étaient ouvertes au centre, de sorte que de la chambre du roi on pouvait apercevoir, comme suspendue dans l’espace, une couronne que Louis de Foix avait placée à la naissance de la voûte du phare. Ébloui par son œuvre, l’architecte la contemplait avec orgueil et ne pouvait se retenir d’en chanter lui-même les louanges. « Mon esprit ravy, s’écria-t-il, est en estonnement d’avoir construit ce phare de gloire. Babylone, Memphis, le mausolée de Carie et le palais du Mède ne sont rien en comparaison du superbe ouvrage du gentil ingénieur ! » C’est ce cri d’extase que traduisent en l’affaiblissant de mauvais vers inscrits au-dessous du buste de Louis de Foix, qu’on a placé dans la chapelle.

Le « gentil ingénieur » n’eut pas le bonheur de voir la huitième merveille du monde complètement terminée; mais les architectes qui lui succédèrent suivirent ses plans et se contentèrent de réparer les dégâts causés par les tempêtes. Ce fut seulement en 1788 que l’ingénieur Teulère abattit toute la partie de l’édifice qui s’élevait au-dessus du premier étage, et la remplaça par une espèce d’obélisque percé de trois rangées de fenêtres et surmonté d’un entablement portant la lanterne. La tour est maintenant plus haute de 20 mètres qu’elle ne l’était en sortant des mains de Louis de Foix, et se dresse à 72 mètres environ au-dessus du niveau des eaux de basse mer. Il est certain que l’édifice n’a plus cette harmonie de proportions qui en faisait la beauté architecturale ; cependant il a peut-être gagné en majesté réelle. Un phare est fait pour être aperçu de l’horizon, jaillissant du sein des vagues et régnant au loin sur l’étendue. C’est par la hauteur qu’il impose au regard, et non par le fini des détails. Et d’ailleurs qu’importe en cette occasion l’avis des archéologues? Les marins qui louvoient péniblement en dehors des bancs et risquent sans cesse de se perdre, si le brouillard les enveloppe ou si la tempête les poursuit, se réjouissent de voir l’étoile favorable brillant à une si grande hauteur au sommet de son obélisque[1]. Rassurés désormais, puisqu’ils aperçoivent le feu bien avant de se trouver dans le voisinage des bancs de sable, ils ne con-

  1. Le feu de Cordouan fait sa révolution de minute en minute. Par un beau temps, les éclats sont visibles à 38 kilomètres en mer. Le feu de l’ancien phare avait une portée de 25 kilomètres seulement.