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II.

Il peut paraître singulier de souhaiter aux Acadiens, comme nous venons de le faire, de rester sujets britanniques. Un instant de réflexion nous permettra de fixer les idées sur ce point, si l’on veut prendre la peine de comparer les nombreux établissemens créés par l’Angleterre sur tous les points du globe aux rares possessions d’outre-mer où flotte encore notre pavillon. C’est par la liberté bien entendue que nos rivaux donnent à leurs colonies que celles-ci grandissent et prospèrent; c’est grâce à nos déplorables traditions administratives que les nôtres ont langui dans l’étiolement jusqu’au jour où elles nous ont échappé. Mieux leur eût valu cent fois être complètement abandonnées à elles-mêmes que d’être asservies à une tutelle qui ne se révélait que par des entraves! Aujourd’hui le mal est fait. Quelle qu’ait pu être jadis notre aptitude colonisatrice, quelle qu’elle puisse encore être à l’état latent, on est peu fondé à espérer d’elle un réveil qui serait un miracle pour la génération actuelle, et, tandis que la Grande-Bretagne voit tous les ans 150,000[1] de ses fils porter au-delà de l’Océan les idées et les mœurs de la mère-patrie, il est probable que pour longtemps encore le chiffre de nos émigrans restera fixé aux 8 ou 10,000 âmes de ces dernières années. Il s’élèverait à plus de 200,000 âmes, s’il était dans le rapport des populations des deux pays. Assurément la disproportion ne saurait être plus choquante; pourtant ce triste résultat n’est pas envisagé du même œil par tout le monde, et l’on pourrait citer nombre d’économistes qui féliciteraient volontiers la France du peu de colonies qu’elle possède. Ils n’en sont plus à la vérité aux antiques doctrines du siècle dernier, où l’on voulait que les colonies ne vécussent que par et pour la métropole; mais ils prétendent que ces possessions lointaines ne sont qu’une charge et non un avantage pour la mère-patrie, lorsque le lien qui les rattache à elle est de jour en jour rendu plus frêle par le double affranchissement civil et commercial. C’est cette école qu’il est bon de combattre.

Si jamais le gouvernement parlementaire réussit à faire le tour du monde, il le devra sans conteste aux consciencieux scrupules que met l’Angleterre à doter successivement ses colonies, grandes et petites, de l’ensemble obligatoire des deux chambres et des ministres responsables. C’est, depuis 1848, le régime de la Nouvelle--

  1. De 1847 à 1854 inclusivement, il est sorti du royaume-uni 2,374,755 émigrans. C’est la période pendant laquelle ce chiffre a été le plus élevé. Il a naturellement baissé (depuis, et n’a même pas atteint dans ces dernières années la moyenne de 150,000 âmes, que nous lui attribuons en nombres ronds.