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riaki se retourna vivement, saisit la main du capitaine et y colla ses lèvres avec énergie. — Quelle petite sauvage ! — dit Aurélie, pendant qu’Henri, un peu confus, essayait doucement de dégager sa main.

Cependant le capitaine de Kératron reprenait rapidement ses forces. Il fut bientôt en état de marcher, et la première fois qu’il sortit, il alla, accompagné de la princesse Inesco, passer l’après-midi sur la terrasse de sa petite maison du Danube. On était alors au milieu du mois de juin. Le ciel était pur, l’air tiède. Le fleuve coulait calme et uni. Un grand silence régnait sur la rive. Toute la nature était en paix. Henri et Aurélie, abrités par le toit de la maisonnette contre les rayons du soleil, restèrent assis plusieurs heures sur la terrasse. Comme la princesse félicitait le capitaine de sa guérison : — Je ne sais trop si je dois m’en réjouir, répondit Henri ; j’étais si bien soigné ! je me trouvais si heureux avec ma blessure !

— C’est donc pour cela, dit Aurélie, que vous la faisiez durer ? Il me semble en effet que vous, un officier qui devez être habitué à recevoir de gros boulets de canon au travers du corps, vous êtes resté bien longtemps couché pour un méchant coup de couteau ; mais tout est pour le mieux : vous voilà fort, et je vais pouvoir continuer ma route vers Constantinople.

— Déjà ?

— Certainement. Je suis à Routchouk depuis six grandes semaines, et on ne s’y bat plus. Il est temps d’aller ailleurs.

— N’attendrez-vous pas quelques jours pour que je puisse supporter le voyage ?

— Vous, mon ami !… Mais je suppose que vous restez ici.

— Et pourquoi faire, s’il vous plaît ?

— Pour faire le bonheur de votre petite sauvage et le vôtre aussi, j’imagine. Est-ce que vous voudriez l’abandonner ? Ce serait à mon tour de vous dire : Déjà !

— Tout de bon, est-ce que vous supposez que j’aie l’intention de séduire cette enfant ?

— Je ne suppose rien, et je ne vous demande pas compte de vos intentions. Dieu merci ! ce ne sont point là mes affaires… À vrai dire, vous êtes un homme si singulier et vous faites si peu les choses comme les autres, qu’on ne vous comprend que quand vous vous êtes expliqué.

— Ma chère princesse, on m’appelle don Quichotte au régiment, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous l’apprendre. Et si vous voulez dire par hasard que je mériterai mon surnom en respectant Popovitza, par mon patron ! je n’ai jamais été si décidé à le mériter ! La