Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/866

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tasse de tisane. Sa méthode consistait surtout à rester de longues heures assise dans un grand fauteuil, à demander souvent : « Comment vous trouvez-vous? » et quand elle voulait de ses belles mains servir le capitaine, elle le faisait d’ordinaire hors de propos. Kyriaki le comprenait : elle en souffrait quelquefois pour Henri, tout en n’étant pas fâchée au fond du cœur de voir qu’elle faisait mieux que cette grande dame; mais quand le capitaine recommença à causer, Aurélie reprit tous ses avantages. Popovitza assistait à des conversations faites dans une langue qu’elle ne comprenait point, et auxquelles elle ne pouvait prendre aucune part. Elle éprouvait de son côté pour s’exprimer des difficultés nouvelles. Quand par hasard elle était seule avec Henri, elle osait causer avec lui ; mais devant Aurélie, devant Inesco, devant Kaun, un sentiment singulier la paralysait. Le patois turc qu’elle parlait avec Henri s’était enrichi, dans leurs entretiens, d’une foule de locutions conventionnelles, et elle éprouvait une sorte de répugnance à trahir le secret de ce langage devant tout le monde. Il lui semblait que les formes intimes de ce vocabulaire ne convenaient qu’à leurs tête-à-tête, et elle rougissait quand Henri devant ses hôtes s’en servait avec elle. Popovitza s’effaçait donc dans les entretiens qui avaient lieu d’ordinaire l’après-midi autour du lit du capitaine; mais en se taisant elle enviait la princesse, qui avait à son service une langue où elle pouvait tout lui dire. Rentrée chez elle, la pauvre fille pleurait amèrement; elle se promettait de ne pas retourner dans la maison du consul, où M. de Kératron n’avait plus guère besoin de ses soins, et où elle subissait pendant plusieurs heures une gêne de plus en plus douloureuse. Le jour suivant néanmoins elle ne manquait pas d’aller s’exposer à ce supplice, dont elle gémissait de nouveau le soir. Henri montrait d’ailleurs pour elle une tendre reconnaissance. Une grande familiarité était née entre elle et lui depuis qu’elle l’avait assisté dans ses souffrances. Les attentions du capitaine réconfortaient la pauvre enfant, et c’était à lui maintenant de la soulager et de la soutenir. Si pendant une journée il avait paru trop attentif aux discours d’Aurélie, s’il s’était moins occupé de Popovitza, elle retournait chez son père, inquiète et accablée ; elle tyrannisait les enfans, les grondait sans motif, puis, sans motif aussi, les embrassait violemment. Le lendemain, si Henri la recevait en souriant, elle retrouvait le calme et la joie. Elle était devenue d’une sensibilité extrême, interprétant les moindres signes, prompte à s’affliger, prompte à se réjouir. Un jour, comme elle allait partir, et que, depuis son arrivée, le capitaine lui avait à peine parlé, elle était debout près de son lit, lui tournant le dos et s’entretenant avec Aurélie. Henri prit alors les deux tresses blondes qui tombaient, longues et lourdes, sur les épaules de la jeune fille, et les secoua familièrement. Ky-