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peut compter sur lui comme sur un chien soumis. » Elle fut émue de ce repentir, et elle renvoya à Cyrille par son messager un billet sur lequel elle avait écrit : « Kyriaki a dit de mauvaises paroles sur toi. Elle te pardonne et se fie à ta promesse. Demande à la Panagia qu’elle guérisse celui que tu as frappé. »

Ainsi délivrée des craintes qui auraient pu la distraire de son amour, Popovitza s’y abandonna tout entière. Elle passait plusieurs heures par jour auprès du lit d’Henri, et pendant le reste du temps elle songeait aux heures qu’elle avait passées près de lui. Henri était tout désormais pour elle. Elle ne se demandait plus, comme les premiers jours, où son amour pouvait la conduire; elle s’y livrait en toute confiance, heureuse du jour présent, insouciante du lendemain. Tout ce qu’elle pouvait rêver d’aimable, de beau, de grand, de généreux, elle le voyait dans Henri. C’était pour elle un être d’une nature supérieure, et elle était comme honteuse de ne pas se trouver capable d’en sentir toutes les perfections. Elle le soignait donc avec une déférence profonde, et aussi avec une adresse merveilleuse. En le voyant au lit, souffrant, abattu, trop faible pour parler, elle craignait quelquefois de voir arriver l’époque de la guérison, et il lui semblait que lorsqu’il serait rétabli, elle n’oserait plus soutenir son regard. Quant à douter de son rétablissement et à craindre pour ses jours, cette idée ne lui était même pas venue, tant elle vivait de la vie de son malade, tant elle sentait en elle-même de ressources et de dévouement pour le guérir. Aux signes les plus imperceptibles, elle comprenait sa pensée ; elle lisait dans son esprit en même temps que lui-même. Désirait-il le silence et le repos, elle s’effaçait comme une ombre; voulait-il n’être pas seul, elle arrivait comme si elle eût répondu à un appel mystérieux. Elle savait exactement le degré de bruit, de mouvement, de lumière, qu’il pouvait supporter autour de lui. Avait-il soif, avant qu’il eût fait un signe, elle lui présentait à boire. Voulait-il remuer sa tête fatiguée, avant qu’il l’eût dit, elle soulevait son oreiller d’une main à la fois vigoureuse et délicate, et plaçait dans une nouvelle position le malade soulagé. Toujours rose et fraîche, avec ses grands yeux bienveillans, elle lui infusait peu à peu la santé et la vie.

Au bout de trois semaines, Henri fut hors de danger. Il se trouva en état de parler, de sourire ; sa chambre s’égaya et devint un lieu de conversation où les hôtes de la maison du consul se réunissaient pour distraire le convalescent. Alors commença une rude épreuve pour la pauvre Kyriaki. Pendant les trois semaines qui venaient de s’écouler, la princesse Inesco, tout en partageant avec la jeune fille le soin de veiller au chevet d’Henri, avait pour ainsi dire laissé à celle-ci le beau rôle. Aurélie pouvait passer pour une garde-malade inexpérimentée et maladroite. Elle n’excellait point à présenter une