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Popovitza, impatiente de voir Henri, traînant son petit frère par la main, entra précipitamment dans la chambre où se trouvait le capitaine, et, lui expliquant comme elle put le motif pour lequel elle venait le trouver, elle le conjura de se mettre en garde contre les mauvais desseins de Cyrille. Henri ne fit que rire de ses craintes, et, l’invitant à s’asseoir sur le divan qui régnait tout autour de la chambre, il se mit auprès d’elle. Le capitaine n’avait pas laissé d’être étonné en voyant arriver chez lui la jolie fille du pope, et, bien qu’elle fut sous la protection d’un enfant de huit ans, cette démarche lui paraissait des plus flatteuses pour son amour-propre. Toutefois il craignait d’effaroucher la jeune fille et sentait qu’il devait répondre par une grande réserve à la confiance qu’elle montrait. En somme, il était embarrassé de sa contenance. Ce qu’il eût voulu dire était assez délicat pour ne pouvoir point s’exprimer dans la langue primitive dont il se servait avec Kyriaki. Il se taisait donc, laissant à ses yeux le soin de parler; mais la jeune fille, intimidée de ce silence, n’osait plus le regarder : elle cherchait un moyen de se retirer sans gaucherie, et n’en trouvait pas. Cependant le petit frère de Popovitza, qui examinait avec une curiosité enfantine tous les détails d’un appartement occupé par un étranger, passa dans la chambre voisine. Sa sœur le rappela. Comme il ne tenait pas compte de cet ordre, elle voulut se lever pour l’aller chercher. Henri arrêta Popovitza, et profita de cette circonstance pour entourer de son bras la taille de la jeune fille. Elle se rassit confuse, et tout le sang de son cœur lui monta au visage. Elle essaya de repousser le bras d’Henri, inclinant la tête pour cacher sa rougeur, et elle exposa ainsi son cou tout empourpré et tout frémissant, sur lequel le capitaine imprima ses lèvres. Ils étaient ainsi tous deux assis devant une fenêtre qui donnait sur la galerie, et ils n’apercevaient pas un troisième personnage qui depuis quelques instans se tenait debout à l’extérieur. C’était Cyrille, qui avait épié les pas de Popovitza, et qui regardait les deux jeunes gens, ivre de jalousie. En ce moment, il se pencha par la fenêtre, le bras armé d’un long couteau, et comme Henri se retournait au bruit, il le frappa au milieu de la poitrine. Le capitaine poussa un cri, saisit un pistolet pendu au mur et ajusta Cyrille, qui fuyait dans le jardin. La balle vint frapper le Bulgare à l’épaule et le renversa à terre. Kyriaki, éperdue, lui cria par la fenêtre : — Sois maudit! sois maudit deux fois! — Puis elle reçut dans ses bras le capitaine, qui s’affaissait tout sanglant.


VI.

Le jeune frère de Kyriaki courut aussitôt chez Kaun, et bientôt le consul, Aurélie et Nicolas furent auprès d’Henri. On transporta le