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les raïas se révoltaient, les occasions de pillage ne manqueraient pas. — Le sultan, disaient-ils, ne nous donne point d’argent, et nous ne nous plaignons pas de lui, puisqu’on nous assure qu’il n’en a pas. Du moins nous en trouverons dans les maisons de ces chiens damnés! — Les bachi-bozouks furent donc à cheval en peu d’instans et arrivèrent dans la ville, où le désordre allait croissant. Les Turcs, triomphant sans peine de la résistance de Costaki, s’étaient jetés sur la procession. Les Bulgares débandés avaient fui d’abord de tous côtés; mais plusieurs des jeunes gens qu’Eusèbe avait enrôlés les réunissaient sur quelques points et essayaient de faire tête aux assaillans. Toutes les rues retentissaient de clameurs aiguës. Une partie des fuyards s’était réfugiée dans la grande cour de l’église. Le pope, ne pouvant plus continuer sa marche, y était revenu lui-même, et s’était arrêté avec l’image de la Panagia à l’entrée de l’allée qui joignait la cour à la rue. Il avait avec lui l’escorte de la Panagia, restée autour d’elle pour la protéger, et Kyriaki, qui n’avait point quitté son père. Le tumulte n’avait point encore gagné cet endroit; mais partout ailleurs les Turcs courant avec des torches, les Bulgares avec leurs cierges, s’injuriaient, se battaient, se démenaient. C’est en ce moment que les bachi-bozouks arrivèrent, lançant leurs chevaux dans les rues si fantastiquement éclairées et déchargeant au hasard leurs pistolets; ensuite ils mirent pied à terre, détachèrent de leurs selles de grands sacs de toile qu’ils avaient apportés, et, pour les remplir, commencèrent à entrer dans les maisons. Dès lors rien ne les détourna plus de cette besogne.

Cependant Eusèbe, dans l’allée où il avait cherché un asile, attendait avec anxiété l’heure où l’assaut devait être donné aux batteries. C’était l’instant décisif où allait se jouer le sort de la conjuration. L’idée d’un suprême effort à faire lui vint à l’esprit, et, pour exécuter son projet, il chercha des yeux autour de lui quelques-uns des jeunes hommes courageux qui lui étaient dévoués. Aucun n’était à ses côtés; la lutte les avait dispersés. Il n’aperçut que sa fille, qui, le cœur agité, mais le visage calme, attendait comme lui les événemens. — Va, lui dit-il, chercher Costaki, Christodoulo, ceux des leurs qui peuvent agir, et envoie-les ici.

Popovitza, rapide et légère, se mit à courir par les rues, cherchant ceux que son père lui avait désignés. Elle trouva Costaki et ses amis, et leur fit savoir que le pope voulait les voir. Bientôt même elle rencontra Cyrille, qui, à la faveur du désordre, venait de s’échapper de son cachot. — Cours, lui dit-elle, près de mon père. Bénie soit la Panagia qui t’a délivré, et qui te permet de la servir au moment suprême !

Quand le pope vit arriver ceux qu’il attendait, il prit à part le