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et qui n’avez rien à craindre, intercédez en sa faveur! Tirez-le des mains du pacha!

Cette affaire intéressait la princesse Inesco, et l’on touchait au moment où sa folle équipée pouvait amener de funestes conséquences. Elle pria donc Henri de se rendre auprès de Saïd-Pacha pour provoquer des explications. Le capitaine, accompagné de Kaun, partit pour se rendre au konak du gouverneur. Cyrille s’y trouvait, au dire de Kyriaki, et ils devaient avant tout chercher à le voir pour en tirer des renseignemens.

Le konak était précédé d’une immense cour, inégale et boueuse. Dans cette cour, entourée d’une galerie, quelques cavas fumaient. Des prisonniers employés aux travaux publics, c’est-à-dire aux travaux du pacha, la chaîne aux pieds, étaient couchés çà et là, attendant l’heure du travail. Dans un angle de la cour, sous la galerie, on voyait dans de petits cachots grillés d’autres prisonniers, à l’égard desquels le gouverneur avait sans doute recommandé une surveillance plus rigoureuse. C’est dans l’un de ces cachots que Kaun et M. de Kératron aperçurent le pauvre Cyrille. Ils s’approchèrent pour lui parler. Une vieille mendiante voilée, accroupie sous la galerie, fit signe à un des cavas qui se trouvait près d’elle. — Vois, lui dit-elle, des chrétiens parlent à tes prisonniers !

Le cavas, sans se déranger, lui montra un chien qui passait son museau à travers la grille d’un autre cachot. — Regarde, répondit-il à la mendiante, les chiens aussi s’approchent des prisonniers sans qu’on les en empêche.

Grâce à cette philosophique indifférence, le consul et Henri purent sans aucune gêne interroger Cyrille, qui déclara que le pacha n’avait manifesté aucun soupçon au sujet des quatre soldats russes, et ne lui reprochait que d’avoir traversé le Danube sans permission. Ils entrèrent ensuite chez le gouverneur. Saïd fit apporter les pipes et le café, et se montra des plus courtois. Il fit connaître qu’il avait écrit à la Sublime-Porte au sujet de l’arrivée irrégulière du prince et de la princesse Inesco, ainsi que du capitaine de Kératron, qu’il avait informé le grand-vizir de la qualité des étrangers. Il ne doutait pas qu’on ne leur permît de continuer leur voyage avec leurs gens. Quant à Cyrille, on voulait seulement savoir ce qui l’avait conduit à passer le Danube, et, selon toute apparence, il en serait quitte pour quelques coups de bâton.

Henri et Kaun revinrent avec ces nouvelles rassurantes trouver Aurélie, auprès de qui Popovitza était restée. Quand ils rentrèrent, la jeune fille était assise auprès de la princesse, qui la consolait en la caressant. Henri rendit compte en français de sa mission, et Aurélie redit ses paroles en grec à Popovitza. La jeune fille, essuyant