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tous les degrés d’aplanissement. On s’assure alors que ces bandes ont juste l’épaisseur d’un souverain, et s’il en est ainsi, on les transfère dans le cutting room pour être coupées.

Cette dernière salle est une des plus belles et des plus bruyantes de l’établissement ; je parle du bruit des machines, car les ouvriers sont muets comme des statues, — caractère qu’on retrouve du reste dans la plupart des fabriques anglaises. Ce silence associé au travail répand une sorte de solennité religieuse sur les ateliers, qu’on prendrait alors volontiers pour des temples ou des lieux de prière. Le principe de nos voisins est qu’on ne peut pas bien faire deux choses à la fois, axiome qui paraît extrêmement simple, mais qui n’est guère pratiqué en France, où nous rions, parlons et travaillons en même temps. Au milieu de la salle, cutting room, s’élève une grande flèche (shaft) et tourne à une certaine hauteur une immense roue volante (revolving fly-wheel) au-dessous de laquelle s’arrondit une plate-forme circulaire en bois, haute d’environ deux pieds. Autour de cette plate-forme se dressent en cercle et de distance en distance douze massives presses ou cylindres à couper (cutting presses). Ces presses aiment l’or, mais c’est pour le mordre : à chaque coup de dent, elles emportent un morceau rond qui a la forme d’un bouton d’habit, et elles donnent un de ces coups de dent par seconde. Douze jeunes garçons sont chargés de les nourrir, c’est-à-dire de placer des lames d’or sous les emporte-pièces (punches), qui s’élèvent et retombent de moment en moment. Au bout d’une minute, ces lames, — lesquelles sont, on le devine, des morceaux coupés dans les bandes d’or que préparent les ouvriers du drawing room, — se montrent toutes percées d’yeux ; on les recueille avec soin, on les lie en paquets égaux, et, ainsi que tous les autres déchets ou copeaux d’or, on les renvoie dans le melting room pour être refondues le lendemain. Quant aux ronds ou boutons connus sous le nom de blanks[1], ils tombent dans des boîtes destinées à les recevoir, et où ils se précipitent avec la libéralité de Jupiter changé en pluie d’or. On peut maintenant se faire une idée de l’ensemble de cette machine à la fois puissante et délicate, blank-cutting machine ; les presses se trouvent animées par la grande roue centrale, qui domine tout et met tout en mouvement, mue qu’elle est elle-même par la pression de l’air atmosphérique.

De la salle où l’on coupe (cutting room) les blanks (pièces rondes qui sont encore vierges de toute empreinte) passent dans le weighing room, où ils vont être pesés. Qui ne comprend toute l’im-

  1. Tout en cherchant à éviter les noms techniques, nous ne saurions remplacer celui-là, qui, par allusion sans doute à une feuille blanche, indique l’état où se trouve une pièce d’or avant d’avoir encore reçu aucune écriture ni aucune effigie.