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née souvent d’assez grandes distances sur le théâtre des fouilles, dans des conduits de bois, des aqueducs ou des canaux creusés à travers l’épaisseur des roches. Une des plus grandes privations est la rareté des vivres ; la famine règne au milieu des sacs d’or. Vers 1858, quelques hommes payèrent jusqu’à 4 shillings pour une livre de viande de mule. Une seule chose console et soutient les mineurs au milieu de ces épreuves sévères, c’est l’espoir de faire fortune en peu de temps. Les chances qui s’attachent à la recherche de l’or sont pourtant très incertaines et très capricieuses : il arrive souvent qu’un quartier de terre (claim) remué et retourné sans succès par un premier groupe de diggers puis abandonné comme décidément stérile, mais repris ensuite par de nouveau-venus, récompense ces derniers en leur offrant des résultats extraordinaires. Sur le sol de la Colombie britannique, les volumineux nuggets (agglomérats d’or), qui ont fait la fortune de plus d’un en Australie, sont assez rares ; mais dans certains endroits la terre abonde en petits fragmens précieux, et la valeur de 150 livres sterling a été extraite d’une seule terrine pleine de boue (dirt). La méthode du travail diffère selon le caractère des individus ; il y en a qui ramassent seulement le plus gros, on appelle cela « éventrer la poule aux œufs d’or, » tandis que d’autres épuisent par de savans lavages toutes les richesses aurifères du champ qu’ils exploitent. La saison des mines (mining season) finit au commencement de l’automne ; les mineurs se forment en caravane ou en colonne de sûreté, et reprennent avec leurs sacs gonflés le chemin de Victoria. Quelques-uns, ayant pour principe que les travaux d’or (gold diggings) sont une table de jeu et qu’il faut savoir s’en retirer à temps, rentrent prudemment chez eux avec les dollars ou les livres sterling qu’ils échangent contre leur poudre jaune ; mais les ambitieux entendent bien revenir l’année suivante, et croient tenir cette fois sous leur bêche les trésors de Sardanapale. L’argent gagné en si peu de temps se dissipe de même. On ne voit plus guère aujourd’hui les extravagances de 1853, les bains au vin de Champagne et les cigares allumés avec des billets de banque, alors que des fortunes étaient faites, défaites, refaites en quelques semaines ; mais il arrive encore dans le voisinage des champs d’or que les pauvres de la veille soient les riches d’aujourd’hui et redeviennent les pauvres de demain.

L’or se présente jusqu’ici sous sa forme naturelle : aux yeux du commerce, cette forme est rude et grossière ; le minerai, — poudre ou nugget, — se trouve en outre mélangé de parties étrangères qui en altèrent la valeur. Il est donc extrêmement difficile dans cet état de le soumettre à une juste expertise. Dans les commencemens, c’est-à-dire à l’origine des découvertes de l’Australie, ces nuggets étaient quelquefois vendus au-dessous de leur valeur à des agens