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Il n’y a eu qu’un petit malheur, c’est que les Grecs dont disposaient de grands rêveurs n’ont voulu prendre conseil que d’eux-mêmes. Nous soupçonnons fort les modernes Hellènes de ne s’être jamais souciés des élucubrations panslavistes et gréco-slaves où les mettaient en scène ces classificateurs ambitieux et illuminés qui confondent et déroutent les patriotismes naturels, sains, légitimes, dans leurs arbitraires utopies. L’esprit grec est dépaysé dans ces nuages. Que les savans dissertent sur la corruption ou la conservation de l’antique race, les Grecs de nos jours n’en vivent pas moins sous le ciel bleu, sur la mer bleue, en face de ces merveilleux horizons où la pleine lumière découpe en lignes franches et fines les purs contours de leurs îles et de leurs glorieuses montagnes. Quels que soient leurs défauts, ils sont du midi, ils sont marins, ils sont commerçans. Ils ont donc le sens net, l’esprit pratique : ils voient d’emblée où est la force, ils vont d’un bond où est leur intérêt. La portion opulente de leur nation, celle qui est adonnée au commerce, est éparpillée en petites colonies dans les ports de mer de l’Europe ; la plus considérable de ces colonies est en Angleterre et tient une place importante dans la Cité de Londres. Le Grec destiné au négoce sait dès son enfance, comme tous les autres Levantins, de quelle valeur est un bon crédit sur Londres. Ces colonies de négocians, — cet élément pour ainsi dire extérieur de la nation grecque, — ont nécessairement une grande influence sur la patrie, dont elles se séparent sans vouloir s’en détacher ; l’esprit du commerce grec établi en Europe doit être compté pour beaucoup dans la direction que prendra la révolution grecque. On le voit assez par cette mesure du gouvernement provisoire d’Athènes, qui veut que ces colonies mercantiles aient des représentans dans le prochain parlement. Il n’est pas douteux que cette influence prépondérante des Grecs qui trafiquent à l’étranger n’ait été exercée au profit de l’Angleterre. L’ambition de ces Grecs, celle de leurs compatriotes qui les suivent avec une intelligente docilité, est da donner l’essor à leur pays par les qualités du peuple au milieu duquel ils vivent, et qui s’adaptent à leur pays même, par l’esprit d’initiative individuelle, par l’habileté et l’activité du négoce, par la liberté politique, en un mot par des moyens dont ils trouvent le type en Angleterre. Ce n’est point, hélas ! la faute des libéraux français, si ce n’est pas en France que les peuples qui aspirent à vivre et à grandir cherchent le modèle envié de la spontanéité politique et de la sécurité prospère au sein de la liberté.

Indépendamment de cette cause générale qui attire vers l’Angleterre les plus intelligens et les plus riches des Grecs, les derniers incidens des affaires d’Orient ont dû agir beaucoup sur le tour que prend devant nous la révolution hellénique. L’Orient, depuis une année, a été considérablement agité. La Serbie, la Bosnie, l’Herzégovine, le Monténégro enfin, ont été le théâtre de mouvemens, de combats, de luttes entre les populations chrétiennes et le gouvernement ottoman. Ce serait aller trop loin peut-être de dire que ces agitations ont été directement excitées par la Russie ; mais on