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ce fond paraît être une région montagneuse où se dressent des chaînes aussi élevées que les Cévennes ou le Jura.

Au retour de l’expédition orographique du capitaine Dayman, tout était prêt pour la pose du câble. L’Angleterre mettait à la disposition de la compagnie l’Agamemnon, vaisseau de 92 canons, désarmé, qui jaugeait environ 3,200 tonneaux. Les États-Unis fournissaient la frégate le Niagara, de 5,200 tonneaux. Chacun de ces deux bâtimens prit une moitié du câble, et au dernier moment il fut décidé qu’ils partiraient ensemble de Valentia, que le Niagara filerait tout le câble dont il était porteur, et qu’en pleine mer on souderait à l’extrémité la portion embarquée sur l’Agamemnon. Il y avait beaucoup à objecter à cet échange de navires en pleine mer, car l’opération de la soudure pouvait être contrariée par un mauvais temps ; cependant cette décision ne fut pas prise sans une discussion approfondie.

L’expédition, qui se composait, outre le Niagara et l’Agamemnon, de la corvette américaine Susquehannah, de la corvette anglaise Leopard et de la frégate anglaise Cyclops, bâtiment chargé de l’hydrographie, et qui devait tracer la route, fut réunie à Valentia le 5 août 1857. Deux petits steamers de rivière étaient déjà là pour faire l’atterrissement. Ces détails font bien apprécier, ce nous semble, les embarras et les difficultés d’une telle opération et l’immense déploiement de forces qu’elle exige. Il eût été possible cependant de simplifier les armemens, car le câble tout entier aurait bien pu tenir sur un seul bâtiment de fort tonnage ; mais il faut toujours avec le bâtiment porteur un bâtiment léger pour tracer la route, les boussoles du premier étant affectées d’une manière variable par l’enveloppe métallique du câble.

À cette époque, on n’avait pas plus d’expérience des machines destinées à dérouler, à maintenir le câble et à modérer sa vitesse, que des essais à faire pendant la fabrication. Au dernier moment, lorsque les navires allaient appareiller, on installa les freins. « La machinerie, écrivait un témoin oculaire de l’opération, M. Delamarche, est très malheureusement conçue, lourde et compliquée ; sa masse énorme et les difficultés de maniement sautent aux yeux, et, lorsqu’on pense qu’elle est destinée à guider et à protéger ce petit câble, si léger, si souple, qu’il fallait rendre le plus libre possible, on se sent mal à l’aise à l’idée de l’union de deux êtres de nature si différente. » Telle qu’elle était, elle pesait quinze tonneaux et coûtait encore 50,000 francs.

Après avoir brisé plusieurs fois le gros câble d’atterrissement, mais dans de petites profondeurs seulement, et après avoir soudé le petit câble au précédent, le Niagara se mit en marche avec une vitesse de 4, 5 et même 6 nœuds : 600 kilomètres furent immergés