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L’ART THÉÂTRAL
ET
LE THÉÂTRE CONTEMPORAIN

Les Ganaches, comédie de M. V. Sardou. — L’Art théâtral, par M. Samson. Paris 1862.

Le théâtre, avec toutes ses imperfections et toutes ses lacunes, n’en est pas moins un des produits les plus délicats de la vie civilisée, un des efforts les plus heureux de l’homme vivant en société pour alléger ses ennuis et pour augmenter ses plaisirs. Tout le monde en a l’instinct, et, si l’on veut donner d’un seul coup, je ne dis pas à un sauvage ou à un voyageur venu des contrées les plus lointaines, mais simplement à un habitant de nos campagnes, l’idée de ce qu’il y a de plus éloigné de l’état barbare ou de la vie rustique, on le conduit au théâtre ; on sent qu’il n’y a pas de moyen plus prompt ni plus sûr de lui faire embrasser d’un seul regard la distance qui sépare la civilisation de la barbarie, une société riche et cultivée d’une peuplade misérable et grossière. Et je ne parle ici que d’un spectacle fait surtout pour enchanter les oreilles et les yeux, de cet inévitable Opéra, où l’on conduit tout droit le paysan qui arrive de son village, ou l’ambassadeur que nous envoie le Japon. Que serait-ce donc si on pouvait leur montrer le Misanthrope et leur donner en même temps une pleine conscience du ravissant prodige que la vie civilisée offrirait en ce moment à leurs regards ? Voyez, pourrait-on leur dire, où nous en sommes venus, et quel chemin nous avons fait depuis que nous avons été, comme vous, jetés nus, pauvres et inquiets sur la terre ! Vous avez admiré nos