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dites ont été affranchies complètement : il convient de traiter de même une autre catégorie d’articles qui sont regardés par les manufacturiers comme des matières premières, quoiqu’ils aient déjà reçu une élaboration assez étendue. Tels sont les sels et les produits chimiques en général : ils ont été fort dégrevés en vertu du traité de commerce ; il faudrait compléter le dégrèvement. Tels sont encore les fontes, les fers et les aciers en barres ou en feuilles. Il est indispensable que l’industrie d’un grand état ait tous ces articles en abondance et au plus bas prix possible. Elle n’est pas placée, vis-à-vis de l’industrie étrangère, dans les conditions de l’égalité tant qu’elle les paie plus cher. Le faible chiffre de nos importations en fer forgé autre que pour rails et en barres d’acier montre déjà que les droits portés au traité sont trop élevés pour ces articles, puisqu’ils sont presque prohibitifs. La même observation s’applique aux cotons filés, matière première de tant de fabrications. Lors de la signature du traité, les filateurs annonçaient, de bonne foi assurément, qu’à moins d’un droit de 35 à 40 pour 100 leur ruine était consommée : avec un droit de 10 à 12 pour 100, les filés étrangers ne pénètrent pour ainsi dire qu’en manière d’échantillons.

Le changement le plus urgent à introduire dans notre régime commercial est celui qui aurait pour objet la navigation maritime. Les surtaxes de pavillon ont fait leur temps. On a lieu d’être rassuré à ce sujet par les conséquences qu’a eues en Angleterre l’abolition complète de l’acte de navigation de Cromwell, regardé longtemps comme le palladium de la puissance britannique. Depuis lors, le commerce de l’Angleterre s’est beaucoup accru et la navigation étrangère en a profité, mais la navigation anglaise n’a pas cessé de croître ; il est remarquable qu’elle ait conservé à peu près intact le cabotage, qu’on aurait supposé plus particulièrement menacé par la pleine liberté dont jouit aujourd’hui le pavillon étranger d’y participer sur le pied d’égalité[1]. Le régime de la protection prétendue de la marine marchande est préjudiciable à nos manufactures et à notre agriculture. Il les contrarie dans leurs approvisionnemens, il les gêne dans l’exportation de leurs produits. Personne apparemment ne voudra soutenir qu’il est favorable à notre marine marchande, puisque de toutes parts on compare avec douleur l’insignifiance

  1. Je lis dans une circulaire de MM. W. S. Lindsay et C°, une des principales maisons d’armement du monde entier, que pendant les dix mois clos le 31 octobre 1861, le mouvement du cabotage a été de 29,030,711 tonnes, et que le pavillon étranger n’y est entré que pour 154,000 ; c’est à peu près 1/2 pour 100.