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par l’entendement. C’est de l’envie, direz-vous. Oui, jusqu’à un certain point; mais qui n’est pas envieux? Auriez-vous connaissance par hasard d’une classe ou d’un parti qui, dans le cours de nos révolutions, aurait été sans envie contre ses vainqueurs, contre ses successeurs, qui se serait fait faute d’insulte et de calomnie? Nul n’a perdu le pouvoir sans abonder dans cette revanche où quelquefois le vaincu s’abaisse. Tous ont connu l’envie et l’ont exhalée dans toute sa fureur quand ils étaient libres, ou l’ont distillée dans toute sa malice quand ils ne l’étaient pas. La démocratie, pour avoir moins gouverné qu’aucun autre parti, s’est peut-être moins dégradée qu’aucun autre aux abjections de ce sentiment.

Toutefois, si la démocratie des instincts montre une grande race, la démocratie dans les lois, et comme source unique des lois, constitue un mauvais gouvernement. Mettez dans les lois, il le faut absolument, les droits du nombre, mais non sa souveraineté. Vous brouillez tout, vous bondissez d’un pôle à l’autre, quand au nom du droit populaire vous instituez le gouvernement populaire, quand vous traduisez liberté par pouvoir, quand vous mettez des moyens d’action et d’agression là où devraient être simplement des contrôles et des garanties, un tribunat enfin. La démocratie est faite, non pour gouverner, mais pour former des gouvernans, pour entretenir et renouveler les classes supérieures, pour laisser monter aux sommets politiques les supériorités naturelles par la grâce du droit commun, de la concurrence, de l’égalité. En deux mots, la démocratie est bonne à faire de l’aristocratie.

Ainsi pour le moment je ne critique en particulier ni le suffrage universel, ni le gouvernement des communes par elles-mêmes; mais j’ose élever des doutes sur ce que vaudraient les deux choses réunies, c’est-à-dire sur un ensemble d’institutions où le nombre serait érigé en souverain et dressé à l’exploitation de la souveraineté; c’est trop de la moitié.

En résumé, nous avons essayé de faire voir historiquement et a priori quelle est l’inaptitude des communes en fait de gouvernement, quelle est leur insouciance en fait de liberté. Ce ne sont là que leurs vices naturels et ordinaires. Elles en acquerront de bien autres, gardez-vous d’en douter, étant donné le milieu du suffrage universel, étant ajouté le droit de chaque homme au droit de chaque localité; l’accident aurait des suites incalculables, et l’on peut se demander ce qui ne périrait pas dans cette souveraineté universelle des communes et des individus.


DUPONT-WHITE.