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leur suffisait d’être hypocrites, sans se douter peut-être qu’un pays où tout le monde a régné est plein de règlemens et de précédens à toutes fins, y compris celles qui impliquent la subversion. Songez-y bien pourtant, ce qu’on ignorait, ce qu’on réprouvait hier, demain on peut l’apprendre et s’en accommoder.

Ces ombrages, direz-vous, sont chimériques : la preuve en est qu’on ne tenta rien de pareil en 1848. Je le crois bien, il y avait alors révolution, c’est-à-dire l’obstacle infranchissable d’un peuple éperdu, atterré, refusant de vivre pour ainsi dire et par là refusant la vie aux pouvoirs nés, à la révolution. Moi, je vous parle d’un état de choses régulier, d’une nation légalement souveraine, qui n’emploie à ses fins que des forces anciennes, des mécanismes honorablement connus au service des meilleures causes. C’est là qu’est le mal! Vous n’avez que la peur du mal en ces jours de panique où les sectes ont le dessus et proposent naïvement à la société des choses et des moyens de l’autre monde, un programme où les premiers seront les derniers, etc. On ne va pas loin avec ces fascinations. Les premiers se retirent, se replient, cessent de consommer, de respirer en quelque sorte : les derniers y perdent leur pain quotidien, et il arrive que, le terrain manquant, la proie se dérobant, l’alchimie des sectes ne peut tenter la moindre expérience. Mais, encore une fois, si nous parlons d’une démocratie régulièrement constituée et procédant par les voies régulières, le cas est tout différent : elle peut tout oser, tout atteindre.

Quand telle est la pente, quand tels sont les instrumens et les succès qui attendent les masses une fois instruites de leur souveraineté, je ne suis pas pour ce qui peut les instruire de la sorte : je rejette péremptoirement les nouveautés locales où elles trouveraient cette science. Oui, on pourrait à toute rigueur instituer en chaque localité des pouvoirs ne relevant que d’eux-mêmes, des êtres collectifs et souverains. J’admets contre toute histoire que l’unité nationale n’en sera pas défaite, que ces êtres locaux n’exigeront pas des lois particulières selon l’intérêt ou la passion de chacun; mais s’ils ne vont pas à décomposer le pays, tout au moins voudront-ils le gouverner. Or ces localités, dans leur force et leur indépendance, ne sont pas précisément l’école que vous pensez. J’ai un peu parlé, je crois, de certain tour d’esprit par où elles s’abstiennent soigneusement de toute grande vue. Je les ai flattées... Ce qu’on apprend dans une commune se gouvernant elle-même, c’est que le gouvernement est chose profitable, c’est qu’il importe d’être le plus fort pour fixer l’impôt, déterminer le tracé des routes, pour être commissaire répartiteur de l’impôt foncier, pour marquer l’emplacement de l’école ou de l’abattoir, pour dresser la liste des enfans admis gratis à l’école,