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aisé de prévoir et de remontrer à l’optimisme du gouvernement tout ce que l’Algérie nous coûterait. L’opposition ne s’en fit pas faute. « Le gouvernement sait très bien, disait M. Armand Carrel, qu’il faut 50 millions par an et cinquante mille hommes pour occuper l’Algérie. » Avec cela, il n’avait garde d’en conseiller l’abandon, il lui appartenait de pressentir et d’entendre ces grandes raisons de M. de Tocqueville qu’on a fait sonner tout à l’heure.

C’est que l’esprit de parti n’est pas l’esprit de localité; l’esprit de parti n’agite une nation que pour la gouverner un jour, et s’abstiendra, en ses emportemens mêmes, de la diminuer, de la désarmer. C’est dans ce sentiment que telle grande nation, où les partis ne manquent pas, est unanime à conserver des possessions lointaines et onéreuses. Sans doute le grand effort de ces peuples est de s’enrichir; mais ils sentent, ils comprennent quelque chose par delà. Et bien leur en prend : un peuple ne saurait trop se dire, à travers toute sa passion de produire et tous ses appétits économiques, qu’il ne peut négliger son état militaire, que tout est précaire chez une nation qui n’a pas de ce côté une forte base : c’est la garde et la sûreté de tout. Si vous avez quelque part un Caucase, un Afghanistan, une Kabylie, cultivez à tout prix ce champ de manœuvre où se rencontre quelque bataille. Nul capital n’est mieux employé; on ne sait pas ce qui peut arriver de guerres, de révolutions. Il faut s’attendre à tout dans un monde progressif, il est vrai, mais qui n’en a pas fini soit avec les passions, soit avec les gouvernemens absolus, nullement étrangers à ces passions, à celle par exemple de prendre Constantinople. Précieuse est l’occasion où des soldats s’aguerrissent, où des officiers apprennent le commandement des armées, comme Wellington entre autres, pour épargner la modestie des vivans.

Des administrateurs, des hommes d’état, y puisent une bien autre science, celle de manier et de fondre les intérêts, les esprits, les religions même. L’Angleterre a chez elle peu de fonctionnaires; mais quelle école de guerre et d’organisation que le gouvernement de l’Inde! Que de lumières, de notions, d’habileté pratique s’y acquièrent et s’en rapportent dans la métropole ! Cela vaut bien les angoisses et les sacrifices qu’il en coûte pour garder cette possession. Aussi les Anglais ne cessent-ils, tout en maugréant, de la garder et de l’étendre. On voit là distinctement quelle est la classe et l’esprit qui gouvernent tout dans ce pays, l’Inde, la métropole et les localités : une classe féconde en hommes d’état, un esprit qui ose comprendre les profits de la grandeur et forcer les masses à en payer le prix, ou plutôt à en faire les avances.

Figurez-vous le second Pitt regardant la révolution française. Tandis qu’autour de lui les partis font rage, les uns éperdus d’hor-