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Sans se piquer autrement d’orthodoxie, on peut trouver cela mauvais et grossier dans un pays peu chargé de croyances, il est vrai, mais qui professe, qui défraie même encore des religions. Ce qui est arrivé là, quelle que soit la dimension du cas, prouve clairement qu’un principe d’une certaine hauteur ne peut être mêlé aux affaires locales sans courir le risque d’être inaperçu ou violé. Tel est le fait des communes, et même des pays où les communes sont en honneur.

Plus un gouvernement se démembre et se délègue, moins il a de lumières et de droiture possibles dans les choses même qu’il retient par devers lui. Il a donné une voix, une importance à tous les préjugés et à toutes les petitesses : par là, il livre à l’esprit des localités ce qu’il ne livre pas à leur pouvoir. Cela est écrit en gros caractères dans l’histoire des nations les plus éprises de libertés locales. Proposez donc aux États-Unis une loi répressive de la banqueroute, ou bien à l’Espagne la liberté des cultes, la tolérance religieuse ! Quand les peuples veulent la souveraineté tout près d’eux, ce n’est pas pour rien : ils entendent bien l’accommoder à leur taille, à leurs vues, et tout se rapetisse à l’inspiration qui vient des pouvoirs locaux.

En effet, la grandeur ne les fuit pas moins que l’équité, penchés qu’ils sont toujours sur des intérêts mesquins, vulgaires. A des âmes qui ont pris cette courbure, il ne faut point parler gloire et honneur : elles vous répondront chacun chez soi, chacun pour soi, une de ces maximes qui tuent un gouvernement, qui éteignent un soleil, même celui de juillet. A côté de cela, ou plutôt à l’autre bout de l’horizon, écoutez un peu le grand publiciste que nous venons de perdre. Il a entendu dire à quelques Anglais que l’Inde est onéreuse, accablante pour leur pays ; mais il n’admet pas un instant que l’Angleterre puisse abandonner cette possession. Elle perdrait quelque chose de sa considération et de son prestige à ne plus régner sur le Gange et sur l’Himalaya : cette conquête est la chose par où elle a le plus attiré les regards du monde; on ne se retire pas impunément de la place qu’on occupe dans l’imagination des peuples ; les Anglais obéissent à un instinct non-seulement héroïque, mais juste, en voulant garder l’Inde à tout prix...

Je cite cette vérité comme un exemple de celles qui sont incompatibles par leur grandeur avec les esprits municipaux. Tout entiers à l’heure présente, ils n’accordent à l’avenir ni foi, ni crédit. Les risques et les avances capables de féconder l’avenir leur sont antipathiques. Si certaine théorie de M. Necker sur les dépenses productives leur était exposée, ils n’y prendraient nul plaisir. Ce qui leur sourit le plus est de ne rien dépenser et de ne rien hasarder. Cet esprit n’est pas précisément celui de la France. Ainsi dès 1830 il était