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par les seigneurs. Des communes avec chartes, des localités indépendantes, c’était l’exception : nulle terre sans seigneur, disait l’ancienne France. Comptez les bonnes villes : elles étaient clair-semées, elles apparaissent comme un accident sur la carte de l’ancienne monarchie. Pesez-les : c’est chose légère auprès de l’église, de la noblesse, des parlemens.

A la bonne heure! L’église, la noblesse, les parlemens, voilà des êtres d’un grand aspect, d’une vie réelle et forte! Ils professent tous les intérêts et tous les devoirs qui sont aujourd’hui des services publics. Leur privilège est une charge, celle des âmes, des intelligences, de la justice, du territoire. Assurément ils ne valaient pas leurs principes, ils étaient égoïstes : c’est pourquoi ils ont péri devant la révélation du droit commun; mais ils étaient debout. Au moyen âge, ils représentaient et sauvaient la dignité humaine; ils avaient l’orgueil, commencement de toute grandeur, ce péché mortel qui vaut dix vertus, ce lion qui fait merveille dans notre cœur, où il dévore les reptiles. Il n’y a personne au monde qui ne soit inférieur à ses maximes; mais c’est beaucoup d’en avoir de hautes, de porter une grande étiquette, d’annoncer un évangile d’héroïsme et de sainteté, d’attendre avec un idéal transcendant les êtres d’élite qui pourraient survenir. Ce piège, cette piperie des dehors est une des meilleures chances du genre humain.

Aussi les castes ont-elles un autre air dans l’histoire que les communes, lesquelles n’avouaient que leur bien propre, quelque intérêt local, et n’existaient que pour elles-mêmes. Un clergé propriétaire, une noblesse privilégiée, une magistrature souveraine auraient bien de la peine à renaître : il n’y faut pas songer, le cours des âges ne se laisse ni remonter ni précipiter; mais ce seraient au moins de grandes ombres, d’imposantes momies! Quant aux communes, à quoi bon les ressusciter, ranimant une vie qui fut toujours précaire et bornée, des êtres qui ne signifiaient rien de grand, des lieux enfin et non des caractères? Il est toujours très beau de ressentir quelque chose au point de s’insurger et de faire échec à la force. Les communes eurent ce mérite, cette distinction, que le moyen âge les traita en langue officielle de choses nouvelles et exécrables, ce qui les recommande infiniment. Tout autre pourtant est la grandeur, l’indépendance des êtres collectifs qui prétendaient exister pour le bien public, et qui remplissaient, dans les limites mentales de leur temps, quelque chose de cette promesse.

Il faut croire d’ailleurs que le droit tenait peu de place dans le régime intérieur des communes affranchies, encore qu’elles eussent pris les armes sous cette invocation. Ce gouvernement d’échevins valait peut-être mieux que celui des seigneurs, voilà tout. Dans mainte commune affranchie, une oligarchie bourgeoise régnait presque