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Prusse, seul le parti féodal osa se prononcer ouvertement contre l’offre faite au souverain : parmi tant de traits communs à la Prusse et au Piémont d’avant 1859, il y a encore ceci que, dans l’un comme dans l’autre état, l’aristocratie redoutait pour son roi les « aventures, » et accordait ses intérêts de parti avec ses sollicitudes pour le trône héréditaire. Lorsque la question brûlante du moment vint à son tour se poser devant les chambres de Berlin, le chef militant du parti féodal, ce même M. de Bismark-Schœnhausen que des intimes prétendent maintenant prêt à la « grande initiative, » finit son discours fougueux et hautain par ces paroles : «Je suis de la Marche de Brandebourg, je suis du sol même où la monarchie prussienne a été bâtie et cimentée avec le sang de nos pères; cette raison me suffit pour ne pas vouloir que mon roi devienne le vassal de M. Simson. » Pressé par les sommations impatientes des représentans, le chef du ministère vint enfin lire à la tribune un manifeste écrit dans un style poétique bien connu du peuple, et qui contenait à la fin cette phrase devenue célèbre : « Je reconnais la force de l’opinion publique, mais ce n’est pas une raison pour s’abandonner en aveugle aux courans et aux tempêtes; jamais ainsi le vaisseau n’atteindrait le port, jamais jamais! » Cela n’empêcha point la majorité de voter la proposition Rodbertus, qui ordonnait au ministère de reconnaître la constitution de Francfort; mais le roi prononça la dissolution de la chambre, et finit par refuser nettement l’offre d’une couronne qui, à ses yeux, n’en était pas une. Déjà, quelques jours avant l’arrivée de la députation de Saint-Paul et dans une lettre remarquable à plus d’un titre, mais qui ne circula que bien plus tard dans le public, Frédéric-Guillaume IV avait écrit au vieux chansonnier Arndt, au patriote gallophobe de 1813, les lignes suivantes : « Cet enfantement des révolutions de 1848 est-il une couronne? Il ne porte pas le Signe de la croix sainte, il n’imprime pas sur le front le sceau de la grâce de Dieu; ce n’est pas une couronne, c’est le collier de fer qui réduirait au rôle d’esclave de la révolution le fils de vingt-quatre électeurs et rois, le chef de seize millions d’hommes et de l’armée la plus brave et la plus dévouée du monde... »

Le triple jamais de Berlin fut pour ls législateurs de Saint-Paul un arrêt de mort sans appel. Que le parlement de Francfort, délaissé bientôt par ses membres les plus distingués, par tout le parti constitutionnel, et devenu un club bruyant au seul service de la gauche, eût encore cherché à prolonger une existence impossible, eût offert la couronne impériale à tous les princes de l’Allemagne à tour de rôle (si emptorem invencrit !...), qu’il eût même constitué une régence de l’empire (Uhland en faisait partie!) pour finir par être dispersé par la police dans les plaines de la Souabe, c’est là une de ces conclusions qui n’ont pas manqué, hélas! même à des