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lités d’un véritable homme d’état. « L’assemblée, — dit à ce moment solennel le président, — a la plus grande tâche à remplir : elle est chargée de la constitution de l’Allemagne. Ce qui fait le droit du parlement, c’est la difficulté, l’impossibilité de confier cette tâche à aucun autre pouvoir. » Bien plus expressives furent encore les paroles que prononça plus tard M, de Gagern au moment où les représentans allaient voter sur la formation d’un pouvoir central provisoire, qui fut, comme on se le rappelle, confié à l’archiduc Jean sous le titre de vicaire de l’empire : « L’heure a sonné, dit-il à cette occasion, où pour la première fois depuis des siècles le peuple allemand est appelé à se donner lui-même un gouvernement pour régler les affaires de la patrie commune. L’unité de l’Allemagne, qui n’existait jusqu’ici qu’au fond de nos consciences, va devenir un fait et occuper sa place dans le monde. » Cette installation du vicaire avait en effet une grande portée, car elle impliquait l’abolition de la diète fédérale, de ce fameux Bundestag qui avait depuis trente-trois ans pesé sur la confédération germanique de tout le poids de ses mesures générales et répressives. En consentant à l’abdication officielle de l’ancienne diète germanique (12 juillet), les gouvernemens de l’Allemagne donnaient un gage solennel à la constituante; s’ils ne sanctionnaient point par là et d’avance l’œuvre de l’avenir, ils condamnaient celle du passé et constataient le provisoire. Le terrain était déblayé, il s’agissait de construire.

Nous n’avons pas à faire ici l’histoire du parlement de Francfort; cette tâche a été accomplie dans la Revue même et à son temps avec un talent et une impartialité également supérieurs[1]. Assurément il serait injuste de ne pas tenir compte aux législateurs de l’église Saint-Paul de la gravité des temps et de la difficulté de l’œuvre. Ils délibéraient au milieu de la tempête européenne, au milieu des flots soulevés des passions populaires, qui venaient parfois écumer jusqu’au pied de leur tribune; chaque jour apportait la nouvelle d’une insurrection à Vienne ou d’une émeute à Berlin. Les discussions orageuses qui avaient lieu simultanément dans les chambres plus ou moins constituantes des divers pays de la Germanie n’étaient pas faites d’ailleurs pour favoriser le calme et la régularité des débats de Francfort. Si peu qu’on soit porté à un tel aveu par le temps où nous vivons, il faut cependant dire qu’il y eut alors vraiment abus de parlementarisme dans les Allemagnes multiples et une. Quant à la tâche principale que les députés réunis sous la présidence de M. de Gagern étaient appelés à remplir, il suffit de se souvenir qu’ils avaient à concilier les intérêts des grands états avec

  1. Voyez les études de M. Saint-René Taillandier dans les livraisons du 1er juin, du 1er juillet, du 1er août et du 1er octobre 1849.