Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/547

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rieur par l’effervescence des révolutionnaires et les folles prétentions du socialisme. Le manifeste célèbre de M. de Lamartine et sa déclaration d’amour platonique pour les peuples opprimés étaient raillés non moins finement que les étranges assises du travail au palais du Luxembourg. Le publiciste allemand présageait à la France des guerres civiles dans lesquelles sombreraient toutes ses libertés; mais sur la ruine des utopies présentes et des sages institutions du passé il voyait s’élever à la fin une dictature militaire qui comprimerait le pays en lui donnant au dehors des occupations contre lesquelles les peuples germains feraient bien de prendre leurs mesures à temps. Pour des professeurs allemands, ce n’était, on l’avouera, ni mal raisonner ni mal prévoir, et ils prouvèrent bientôt que la résolution ne leur faisait pas défaut non plus. Cinquante et un citoyens, réunis à Heidelberg le 5 mars 1848, tous hommes d’élite, — députés, écrivains célèbres, publicistes, professeurs et avocats, — prirent hardiment l’initiative d’une révolution. Ils décidèrent « qu’une assemblée de représentans de toute l’Allemagne serait appelée dans le plus bref délai, tant pour conjurer les périls au dedans et au dehors que pour développer toutes les forces et tous les trésors de la nationalité germanique. » Et bientôt un comité élu par la réunion de Heidelberg convoquait à Francfort, pour le 30 mars, tous les anciens membres et les membres présens des chambres constitutionnelles de l’Allemagne. Ils devaient y former une assemblée de notables chargée de faire la loi électorale, de parer aux nécessités du moment et d’installer définitivement le véritable parlement national.

Certes le programme inauguré par la réunion de Heidelberg ne manquait ni de grandeur ni même de sagesse politique; mais aussi les circonstances conspiraient de toutes parts en sa faveur, et chaque jour lui apportait des auxiliaires. Les souverains des petits états se pliaient, effrayés, à toutes les exigences de leurs peuples. Une chose inattendue, inespérée, venait d’avoir lieu : une révolution avait éclaté à Vienne (13 mars). Cinq jours plus tard, Berlin suivait l’exemple et forçait le roi Frédéric-Guillaume IV à convoquer une constituante et à faire la solennelle déclaration « que la Prusse devait se fondre désormais dans l’Allemagne. » Les notables purent donc s’acquitter de la mission que leur avait confiée la réunion de Heidelberg, et les gouvernemens s’empressèrent de faire procéder dans leurs pays respectifs aux élections des représentans pour le parlement national; l’Autriche même ne se fit pas faute d’y envoyer ses députés. On sait que la grande constituante germanique fut ouverte, le 19 mai, dans l’église Saint-Paul à Francfort, et sous la présidence de M. Henri de Gagern, ancien soldat de Waterloo, orateur célèbre, aussi imposant par son caractère que distingué par les qua-