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et dans l’Allemagne entière. On se tromperait en effet, si on ne voulait voir dans la lutte que M. de Bismark-Schœnhausen vient d’engager avec la représentation nationale qu’un désaccord ordinaire sur les attributions des divers pouvoirs, une question purement constitutionnelle : au fond du débat gît un problème bien autrement grave et d’origine bien plus ancienne, celui même de la constitution future de l’Allemagne. Les députés qui composent la majorité dans les chambres prussiennes sont en même temps les partisans les plus ardens et les orateurs les plus écoutés du National Verein de Cobourg, et ils avouent hautement n’avoir élevé de difficultés sur le budget qu’afin de forcer le gouvernement à donner la promesse solennelle d’une action plus résolue dans l’œuvre de l’unité allemande. D’un autre côté, M. de Bismark lui-même ne s’est pas fait faute d’insinuer parfois ou de laisser insinuer qu’il ne sortait de la légalité prussienne que pour rentrer dans le « droit allemand, » et qu’il ne prenait en main la dictature que pour une « grande initiative. »

C’est donc, nous le répétons, le mouvement général de l’Allemagne qu’il faut ne pas perdre de vue en étudiant le mouvement prussien. On a plus d’une fois comparé la situation de la Prusse en face de l’Allemagne à celle qu’avait le Piémont vis-à-vis de l’Italie avant la guerre de 1859. Quand M. de Schleinitz crut devoir émettre une note politico-morale, suivant l’expression qui eut cours dans le public allemand, pour protester contre l’occupation des Marchas par le général Cialdini, M. de Cavour lui répondit avec une malicieuse finesse que « la Prusse saurait un jour gré au Piémont de l’exemple qu’il venait de donner. » Or de même qu’il serait puéril de vouloir écrire l’histoire parlementaire du Piémont en faisant abstraction de la grande question italienne, de même il serait impossible d’exposer la crise constitutionnelle en Prusse sans présenter dans son ensemble le travail des idées unitaires qui ne cesse depuis tant d’années d’agiter l’Allemagne. Raconter ce mouvement, ce serait faire en quelque sorte l’histoire de l’esprit public des peuples de la Germanie depuis la forte impulsion qi*i avait été imprimée à leur génie par la guerre de délivrance. Nous ne traiterons, bien entendu, ce vaste sujet que dans ses phénomènes les plus généraux. Deux groupes de faits, deux sujets d’études distinctes se présentent dans le cadre ainsi tracé. Le premier nous éclairera sur le mouvement des partis en Allemagne depuis l’établissement du pacte fédéral jusqu’à la restauration, en 1851, du régime un miment supprimé par les tempêtes de 1848 ; l’autre embrassera toute la période écoulée depuis lors jusqu’au moment où nous sommes, et où les efforts de l’esprit allemand viennent se résumer dans la crise prussienne.