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difficiles à épuiser et leur persévérance à toute épreuve ; mais d’avance on ne saurait leur prédire le triomphe d’une manière absolue.

En effet, les planteurs se battent avec le courage du désespoir, car ils sentent que leur fortune, leurs troupeaux d’esclaves, leur autorité traditionnelle, leur antique influence et tous leurs privilèges de patriciens sont l’enjeu de la lutte, et pour sauver cet enjeu, où l’orgueil et les intérêts ont une égale part, ils exposent hardiment leur vie. En pleine guerre révolutionnaire, ils ne craignent pas de faire appel à toutes les mesures de salut public, de décréter des levées en masse, de terroriser les populations hésitantes. Tandis que les états du nord n’emploient qu’une partie de leurs forces et combattent, comme les Juifs de Néhémie, l’épée d’une main, la truelle ou la charrue de l’autre, les états rebelles font converger toutes les ressources nationales vers ce but unique de la guerre. Leur grand avantage est d’être parfaitement unis : courant les mêmes dangers, exposant les mêmes intérêts, ayant les mêmes passions au cœur, ils marchent comme un seul homme. On ne compte pas un traître parmi eux, car ils sont tous également abusés au sujet de l’esclavage, qu’ils regardent comme une institution divine : longtemps avant la révolte, ils avaient pu serrer les liens de la confédération actuelle en s’unissant avec la plus complète unanimité pour placer le double tabou de la loi et de la religion sur la personne de leurs esclaves. Enfin ils ont deux grands auxiliaires, l’espace et le temps. Leur territoire est grand comme la moitié de l’Europe ; ils opposent aux envahisseurs, ici des forêts impénétrables, là des marais aux miasme : mortels, ailleurs des plateaux dépourvus de routes, ou de mornes campagnes déjà dévastées par la guerre. Résolus à tenir jusqu’au dernier homme dans leur immense empire si propice aux résistances désespérées, il est possible qu’ils puissent encore prolonger la lutte pendant plusieurs années, sinon par de grandes batailles, du moins par d’incessantes guérillas.

S’il est difficile de croire au triomphe très prochain des armes du nord, il est bien plus difficile encore de croire à l’établissement définitif et à la durée de la nouvelle confédération. Tant que durera l’exaspération de la lutte et que les frontières changeantes seront sans cesse modifiées par les marches et les contre-marches des armées ennemies, cette oligarchie qui affirme avec une si grande audace ses droits à l’autonomie réussira peut-être à se faire prendre au sérieux ; mais lorsque des centaines de milliers d’hommes auront pourri sur les champs de bataille à côté des nombreuses victimes déjà sacrifiées, lorsque le million de guerriers que le sud peut mettre sous les armes en livrant toute sa population valide sera presque entièrement exterminé, comment les esclavagistes pourront-ils maintenir l’intégrité de leur territoire contre les états du nord, qui disposeront toujours d’armées considérables ? Et si la lassitude, ou, ce qui nous semble assez improbable l’influence des puissances étrangères devait amener les états libres à reconnaître la confédération rebelle et à donner ainsi à leur politique