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de celle qu’a si bien réalisée la Société des concerts. Propager dans la population les beautés sublimes d’un art profond et civilisateur, voilà le but que se propose M. Pasdeloup, et il faut avouer qu’il commence très bien, et que jusqu’ici le succès répond à ses efforts. Que ce grand spectacle de la puissance de l’art musical étonne et afflige des psychologues aussi ingénieux que M. de Laprade, nous n’avons pas à nous en inquiéter ; il y a longtemps que le monde marche à sa guise sans plus consulter son confesseur. L’art et le théâtre vivent malgré l’église et son grand prophète Bossuet.

Pour que rien ne manque à nos distractions, nous avons encore à Paris une troupe de comédiens allemands qui, dirigée par Mme Brüning, donne des représentations dans la petite salle Beethoven, située passage de l’Opéra. On y chante, on y rit, on y danse, et on joue des vaudevilles allemands pleins de gaîté. Mme Brüning possède une belle voix de mezzo-soprano, fort bien conservée et dont elle se sert avec. goût. Pour ceux qui entendent un peu la langue du pays qui ne produit pas les citronniers, mais qui a vu naître Faust et la symphonie pastorale, le petit théâtre Beethoven offre un délassement qui n’est pas à dédaigner.

Puisque je parle de l’Allemagne et des merveilles de son génie, je ne veux pas laisser ignorer qu’il vient de paraître à Paris une nouvelle édition de la partition de Don Juan de Mozart, la plus complète qui existe. Le public ignore peut-être que ce chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre de la musique dramatique n’a jamais été gravé comme le compositeur l’avait conçu, et que plusieurs morceaux importans sont à peu près inconnus de la plupart des chanteurs. La mise en scène de Don Juan a subi également de nombreuses variations, et au Théâtre-Italien de Paris surtout on a réduit cette œuvre profonde aux proportions d’un opéra de genre. Il est bon de savoir que le manuscrit autographe de Don Juan fut vendu, par la veuve de Mozart, au fameux éditeur André, de la petite ville d’Offenbach. À la mort de cet homme très actif, qui était lui-même un musicien instruit, la précieuse relique devint le partage de l’une des filles d’André qui se maria à Vienne. On offrit le manuscrit de Don Juan à toutes les bibliothèques publiques de l’Allemagne, sans pouvoir trouver un acquéreur. C’est à Londres, en 1855, que Mme Viardot en fit l’acquisition pour la somme de 5,000 francs, je crois. Que ce trait fait honneur au pays dont tous les grands artistes ont vécu dans la misère, et où Mozart a été enseveli clandestinement sans qu’on ait pu découvrir le coin de terre qui couvre ses restes mortels !

Quoi qu’il en soit de ces tristes réflexions, l’édition de Don Juan, qu’on vient de publier avec tant de soin, est conforme au manuscrit autographe que possède Mme Viardot. On a ajouté une traduction française, un texte italien de Lorenzo da Ponte, et le tout a été soigneusement révisé et réduit au piano par M. Vandenheuvel. La partition originale de Don Juan contient vingt-huit morceaux, dont plusieurs ne sont jamais chantés au