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vait attendre une manifestation officielle implicitement favorable aux états du sud. » Il est probable aussi que ce document agira sur l’esprit des partis dans un sens contraire à celui que l’on désire. La dépêche parle des dispositions favorables à la paix qui commencent à se manifester dans le nord comme dans le sud. Ce qui depuis quelque temps a donné lieu à l’espoir d’un retour d’une partie des populations du nord aux idées pacifiques, c’est le réveil du parti démocratique, qui a été si longtemps l’allié du parti esclavagiste. On exagère peut-être ou l’on comprend mal la politique du parti démocratique, ou la façon dont s’exerce son influence dans les élections actuelles. Le mouvement électoral donne des chances aux démocrates à New-York et dans un des principaux états de l’ouest, l’Ohio. Les démocrates qui disputent de près aux républicains la victoire électorale à New-York sont ceux que l’on appelle les démocrates pacifiques, les peace democrats. Leur manière d’entendre la paix ne paraît guère s’accorder cependant avec la concession d’un armistice de six mois au sud. Le chef du parti démocratique de New-York, M. Seymour, vient, dans une grande et éloquente harangue, d’exprimer ses idées à ce sujet. Sans doute il veut la paix, mais il la veut sous la condition du rétablissement de l’Union. Un autre démocrate influent, M. Van Buren, qui s’est montré le plus violent adversaire de l’administration de M. Lincoln, veut aussi la paix, mais à la condition qu’une armée victorieuse ira la chercher au siège du gouvernement rebelle, à Richmond. MM. Seymour et Van Buren sont-ils sincères ? L’on n’a pas de raison d’en douter ; il faudrait savoir alors si leur manière d’entendre la paix est du goût des hommes du sud. Quant au mouvement démocratique de l’Ohio et de l’ouest, il a un tout autre caractère : là ce sont les démocrates belliqueux, les war democrats, qui sont en train de renverser l’influence d’un des plus ardens parmi les démocrates pacifiques, M. Wallingham. Quoi qu’il en soit, ou la nature humaine n’est point aux États-Unis ce qu’elle est ailleurs, ou l’on doit appréhender que la dépêche de M. Drouyn de Lhuys, si elle est prise comme indiquant la pensée d’une ingérence étrangère dans les affaires américaines, ne donne l’alerte au patriotisme, ne condamne au silence les rangs diminués du parti démocratique, et n’affaiblisse les chances du parti de la paix.

Espérons du moins que l’étonnement douloureux que la proposition française a produit parmi tous les libéraux européens et produira en Amérique, joint au refus de l’Angleterre, suffira pour avertir notre politique et pour la détourner de se compromettre activement dans une intervention aux États-Unis. Ce n’est pas là qu’il faut chercher pour nous une diversion aux tracasseries des questions italienne et romaine. Nous le répéterons, l’affaire de Rome n’est pas seulement une question étrangère, elle est au premier chef une question intérieure qui pose en face l’une de l’autre, avec leurs principes et leur ascendant divers sur les intérêts et sur les esprits, la révolution française et la contre-révolution, la liberté de l’église avec l’ensemble des libertés publiques et la théocratie accompagnée de ses