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dislocation de la grande république marchande et maritime du Nouveau-Monde, tous les torts de Jefferson Davis et de ses amis ont été pardonnés et oubliés par l’Angleterre, et toutes les foudres de la terrible presse anglaise ont frappé ces apprentis politiques du parti républicain qui ont essayé, malgré leur inexpérience administrative et au milieu de leurs tâtonnemens militaires, d’empêcher le morcellement et la chute de leur pays. Tout en les déplorant, nous savions nous expliquer les préjugés de l’Angleterre contre l’Amérique : il était impossible que la vieille métropole dissimulât sa joie lorsqu’elle voyait l’ancienne colonie révoltée frappée dans cette force insolente qui avait plus d’une fois fait reculer l’Angleterre. Mais plus on comprend les raisons qui portent l’Angleterre à souhaiter le démembrement de la puissance américaine, plus nous avons admiré le courage de ces hommes d’élite, Cobden, Bright, John Stuart Mill, qui ont su résister à la passion de leur pays, plus aussi il nous paraît juste de reconnaître la prudence et le bon sens que vient de montrer le cabinet anglais en refusant de s’associer au projet de médiation illogique, intempestive, inefficace que lui présentait le gouvernement français, et qui offrait une tentation si séduisante à l’entraînement des ressentimens et des intérêts britanniques. On parle beaucoup des délibérations qui ont eu lieu à ce sujet au sein du cabinet anglais : nous ne voulons pas tomber dans le ridicule de ceux qui croient savoir ce qui s’est passé dans ces conseils, et qui ignorent que les ministres anglais sont tenus par un serment et par une loi d’honneur de garder le secret de leurs discussions ; mais ce que l’on connaît de l’esprit et du caractère de quelques-uns des membres éminens du cabinet nous suffit pour estimer de quel poids ont dû être dans la décision du conseil l’esprit précis et philosophique de sir G. Cornewal Lewis, le ferme et constant libéralisme du comte Russell, la vieille expérience et la sagacité toujours jeune de lord Palmerston.

La prudence anglaise préserve sans doute la France du danger au-devant duquel elle courait ; elle nous arrête au moment où nous allions mettre le pied dans cet autre nid de guêpes des affaires américaines, comme si nous n’avions pas assez de la confusion des affaires d’Italie et de la douteuse et coûteuse gloire de notre intervention au Mexique. Malheureusement elle ne prévient que les conséquences pratiques et immédiates de l’étrange initiative que nous avons prise. L’effet moral de notre démarche subsiste. Le gouvernement français, pour des motifs qui échappent à notre intelligence, a cru devoir publier la dépêche de M. Drouyn de Lhuys dans le Moniteur, et a fixé pour ainsi dire le point de départ de sa politique américaine. Nous redoutons l’effet moral que ce document peut produire aux États-Unis. Cet effet court risque d’être d’autant plus vif que les Américains ne feront que voir le péril de l’immixtion européenne auquel ils ont échappé, sans ressentir la contrainte positive qu’aurait pu exercer sur eux l’intervention des trois puissances, si elle se fût réalisée. L’opinion américaine sera peut-être d’autant plus affectée que ce n’était point du côté de la France qu’elle de-