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parce qu’ici la mode exerce sans limites son capricieux empire. Il y a le bouton en métal, le bouton eh velours, le bouton en soie, le bouton en nacre, en ébène, en ivoire, le bouton en carton vernissé ; il y a le bouton où le métal est associé à la nacre ou à l’ébène, ou à l’ivoire, ou au coroso, ou au carton, et celui où le métal et une de ces diverses substances s’unissent à quelque étoffe. Le vêtement des hommes suppose un moindre nombre d’espèces de boutons, mais il faut là encore compter par centaines et par milliers. Un calcul approximatif permet de porter à six cent mille sortes environ les variétés de boutons qui sont sorties des ateliers de MM. Weldon et Weil depuis l’origine, c’est-à-dire depuis une cinquantaine d’années. La mode changeante a commandé cette variété prodigieuse, et les machines, dont le métier est d’obéir, l’ont exécutée successivement. Grâce au procédé mécanique, les boutons coûtent fort peu en comparaison des temps antérieurs. Le prix des boutons métalliques, blancs, très simples, qui servent à suspendre les bretelles par exemple, et qui constituent une sorte qu’on n’avait pas jadis, est de 30 centimes la grosse de douze douzaines, cinq boutons pour 1 centime ; mais les boutons de soie ou de velours et les boutons d’uniforme et de livrée dorés sont plus chers. La fabrication journalière de la maison est de douze cent mille boutons.

J’ai dit plus haut que l’exposition permettrait à l’observateur qui le voudrait de faire de curieuses études de mœurs. même sur le chapitre des boutons, qui semble y prêter moins qu’un autre, il y aurait d’intéressantes observations à faire en ce genre. Le pays de l’Europe qui a le plus de variété et de luxe dans ses boutons d’uniforme est l’Espagne incomparablement. Singulière manifestation de l’ostentation castillane ! L’Espagne affecte l’apparence dans ses boutons comme l’emphase dans ses formes de langage ; mais cette manie ne l’empêche pas de redevenir une grande nation, aux applaudissemens du monde civilisé et de la France en particulier. Je viens de dire que l’Espagne a les plus beaux boutons d’uniforme de l’Europe ; mais hors de l’Europe il y a quelqu’un qui la dépasse. Quel est donc cet état qui a les plus splendides boutons d’uniforme, ou du moins les plus chers ? Ce n’est pas même un état, c’est l’Égypte, à laquelle en 1840 un caprice des potentats de l’Europe ravit la plénitude de l’indépendance, de sorte que le pacha d’Égypte est le vassal du sultan et que l’Égypte est une province de l’état turc. Le pacha d’Égypte se console de diverses manières de l’abaissement infligé à son père Méhémet-Ali. Il est le plus riche des souverains, et pendant que son suzerain, réduit aux expédiens, émettait de la monnaie de papier au lieu de métal, il a fait, lui, en argent ce que les plus grands princes font non-seulement en cuivre, mais quelquefois en carton vernissé. Il a commandé vingt mille uniformes dont les boutons, même pour