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faisait d’ailleurs sa confidence à Molesworth, parce que celui-ci avait quelque accès auprès du vieux lord.

Son inquiétude était extrême. Il voulait s’adresser au père d’abord ; mais il aurait bien voulu savoir auparavant si la fille n’avait distingué personne, et si c’était de son contentement que son père avait refusé divers partis. Tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il savait d’elle l’enchantait chaque jour davantage. Malheureusement le pauvre homme avait toujours grand besoin de fuir les vents d’est et de nord-est ; il éprouvait de l’oppression, il ne pouvait respirer. Cependant comment aller chercher un climat meilleur sans s’éloigner de celle qu’il aimait ? Il prit donc son parti, il fit sa demande, et, pour la faire, il brava même un très mauvais temps. Le père ne se pressa pas de lui répondre ; il paraissait avoir quelque engagement. Il semblait du moins que la fille n’en avait pas. Si cependant le rival qui se proposait était, comme on le croyait, lord Halifax, le ministre, l’orateur, ce Charles Montague si célèbre pour son esprit, sa galanterie, son éclat, on ne pouvait se dissimuler que ce ne fût un bien bon parti, ou du moins un mari de bien belles manières, et Shaftesbury craignait fort que son cas ne fût désespéré. Pourtant il lui semblait que la jeune personne aimait par-dessus tout la vertu, et avec la vertu toutes ses dépendances, les mœurs simples, les goûts modestes, toutes les délicatesses de l’âme, et alors, dans son amour-propre de philosophe, il reprenait de l’espérance ; mais ce maudit vent d’est revenait, et avec lui la souffrance, la faiblesse, la mélancolie, le spleen. Shaftesbury convenait qu’il n’était pas exempt d’humeur noire. Il en avait eu des accès, du temps qu’au parlement il était en butte aux accusations des deux partis, de l’un pour sa fidélité à son nom et à ses principes, de l’autre pour une prétendue apostasie qui n’était qu’une fidélité plus grande à ses principes qu’à ses amis. Molesworth avait passé par les mêmes épreuves ; mais quant à lui, il s’en croyait quitte, et son humeur était devenue sereine. N’était-ce ce maudit air de Londres, comme homme il se trouvait très passable. Comme galant, à la vérité, il y avait à redire : il savait mal faire sa cour, il était un mauvais jockey, il n’en pouvait disconvenir ; mais au total, et pourvu qu’on ne lui demandât pas de vivre à Londres, il avait une santé de campagne et même de voisinage de ville. Il trouvait le vieux lord, de qui son sort dépendait, extrêmement prévenant ; il savait même qu’on avait tenu de bons propos sur son compte, mais il attendait toujours la réponse. — Je crains bien pour lui que sa santé ne fût l’objection qu’on n’osait pas lui faire en face.

Malgré ses amoureuses préoccupations, il n’abandonnait pas la politique. Quoiqu’il fût resté en froid avec les lords de la junte, il avait toujours distingué parmi eux lord Somers, et il annonçait avec