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assure. Saltaire est l’œuvre de M. Titus Salt, qui l’a érigée tout d’une pièce, il y a une dizaine d’années, avec les maisons où les ouvriers se logent et l’église où ils vont assister au service divin. Cette immense manufacture, dans l’enceinte de laquelle travaillent plus de trois mille personnes, est consacrée à la production de certains tissus de laine, d’alpaga et de poil de chèvre ; elle est cependant adonnée surtout aux tissus de laine peignée qu’on appelle les orléans. Elle prend la laine, l’alpaga et le poil de chèvre tels qu’ils ont été coupés sur le dos de la bête, et on achève entièrement la fabrication des tissus. Tout y est sur des proportions colossales. Plusieurs des machines à vapeur sont de la force de 700 chevaux.

La même loi qui a agrandi les fabriques avec une notable économie sur les frais généraux tend à faire disparaître de la plupart des industries les petits ateliers, ceux que souvent on appelle plus ou moins justement les ateliers de famille. C’est que l’industrie morcelée se refuse, dans la plupart des cas au moins, à l’emploi des machines, qui cependant sont indispensables soit pour la qualité régulière des produits, soit pour la fabrication à bon marché, qui est la nécessité et le devoir de la civilisation moderne.

Dans la société patriarcale, toute industrie est domestique : point ou très-peu de division du travail entre les familles ; chaque tribu ou clan produit et confectionne tout ce qu’il lui faut. Dans la société grecque ou romaine, l’industrie reste encore principalement domestique ; cependant une certaine division du travail y apparaît comme un des caractères mêmes du progrès social, et finit par acquérir quelque développement. Elle se révèle par le fait que les professions sont plus distinctes et se diversifient davantage. Cet état de choses s’accuse plus fortement au moyen âge et dans les siècles suivans avec les corporations d’arts et métiers ; il y a des chefs d’industrie qui occupent beaucoup d’ouvriers, mais il n’y a pas encore de manufactures constituées sur la base d’une grande division entre les travailleurs et d’un outillage varié en proportion de la division du travail. La manufacture est une création de la civilisation moderne. Il n’y a guère qu’un siècle que le système manufacturier est apparu avec tous les caractères qui lui sont propres, et qu’il s’est mis à prendre chaque jour un plus grand essor.

À la fin du XVIIIe siècle et pendant le premier quart du xix°, une multitude d’industries, aujourd’hui à l’état de manufactures, n’étaient organisées qu’en petit. Leur outillage était insignifiant ; l’outil principal, c’était la main de l’homme. Le parfumeur, par exemple, avait un mortier dans lequel il écrasait sous Un pilon les substances destinées à ses préparations, des filtres et des tamis. Le fabricant de boutons ne. s’occupait que des boutons métalliques ; pour ceux qui portent une empreinte, il avait un balancier. Les