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pareille charité sans croître journellement en vertu ; c’est la seule qui lasse à la fois le bonheur de celui qui la pratique et de celui qui en est l’objet. » Les membres de la société de Saint-Vincent-de-Paul ne se reconnaissent-ils pas dans ce passage ?

M. Périn repousse autant que Malthus la charité légale ; il va même un peu trop loin sous ce rapport, car il y a dans la charité légale des parties excellentes, comme l’assistance aux aliénés et aux enfans abandonnés ; il fait justement appel à la charité privée et surtout aux associations de charité. J’aurais voulu seulement que, tout en rendant un hommage mérité à ces pieux efforts, il se montrât un peu plus préoccupé de cet autre genre d’institutions charitables qui a pour but de prévenir la pauvreté. Il dit à peine quelques mots des caisses d’épargne, qui sont pourtant au premier rang. L’épargne des classes ouvrières pourrait s’accroître encore, soit sous cette forme, soit sous toute autre, si le clergé catholique prenait en main cette cause avec plus d’ardeur. Je regrette aussi d’avoir trouvé dans M. Périn quelques paroles peu favorables à l’instruction primaire. La diffusion de l’instruction a ses dangers sans doute, elle répand encore plus de bienfaits ; l’homme ignorant est un esclave, l’instruction seule donne la liberté. L’admirable institut des frères de la doctrine chrétienne prouve d’ailleurs que l’église a compris ce grand devoir, et ce n’est pas répondre à son esprit que d’élever des doutes sur ce point.

À propos des sociétés de secours mutuels, qui sont, avec les caisses d’épargne et les écoles primaires, le plus sûr moyen d’améliorer le sort des classes pauvres, M. Périn fait remarquer que leur origine remonte au moyen âge et qu’on les appelait des confréries. M. Levasseur, dans sa savante Histoire des classes ouvrières, M. Emile Laurent, dans son Traité du paupérisme et des associations de prévoyance, avaient déjà fait la même observation. Le lien religieux donne une force de plus à ces associations, et quand elles ont pour but de soulager l’âme aussi bien que le corps, elles prennent un caractère plus sacré et de plus profondes racines. Les anciennes confréries s’unissaient malheureusement aux corporations, aux jurandes, aux maîtrises, dont l’abolition a émancipé le travail, et il faut avoir bien soin de distinguer la partie charitable et chrétienne de ces institutions de leur partie égoïste et exclusive. Une fois cette distinction faite, rien ne s’oppose, au point de vue économique, à voir reparaître et se multiplier les bannières, les chapelles, les images des saints, tout ce pieux appareil qui formait l’unité visible des anciennes sociétés. Il n’y a pas jusqu’à ce mot touchant de confrérie, qui ne vaille mieux que le nom actuel ; en Angleterre, on les appelle des sociétés d’amis, friendly societies.