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qu’elle commence à ouvrir les yeux. Le jour où elle y appliquera son puissant génie, elle dépassera probablement tout ce qu’on a vu. L’église catholique n’est pas pour rien la plus grande institution que le monde ait connue.

À ceux qui pourraient être tentés d’exagérer la supériorité économique des nations protestantes, on peut répondre que si l’Angleterre, la Hollande, la Saxe, le Wurtemberg sont protestans, la Belgique, le nord de la France, la Prusse rhénane, la Haute-Italie, qui rivalisent de richesse, sont catholiques. L’Italie entière a été dans d’autres temps à la tête de la civilisation universelle. L’Espagne, aujourd’hui une des nations les plus arriérées, a étendu sa domination sur les deux mondes, et depuis qu’elle possède un gouvernement constitutionnel, elle remonte à vue d’œil vers la puissance. Il n’est possible de voir dans ces déplacemens qu’une de ces oscillations historiques qui constituent la vie des peuples. Même en Amérique, où éclatait plus qu’ailleurs la supériorité actuelle du protestantisme, les états protestans du nord commencent leurs querelles quand les états catholiques du sud semblent finir les leurs ; les uns descendent, les autres montent. À prendre l’histoire dans son ensemble, les œuvres du catholicisme dépassent de beaucoup celles de la réforme ; l’un a régné pendant quinze siècles, l’autre n’a commencé sérieusement qu’il y a trois cents ans.

Ce qui doit le plus exciter cette féconde émulation, c’est que les nations les plus riches sont en même temps les plus pénétrées de l’esprit religieux. L’un ne peut aller longtemps sans l’autre. La riche Angleterre est aujourd’hui la nation la plus religieuse de l’Europe. On peut trouver son culte triste et sévère ; tel qu’il est, il suffit à son génie. Quels que soient les désordres qu’on peut signaler dans la partie infime de sa population, le reste vit dans une régularité parfaite et remplit avec ferveur ses devoirs religieux. Là est le principe des grandes choses que l’Angleterre accomplit dans tous les genres, le principe de sa liberté politique et de cet ordre universel qui s’unit si naturellement à sa liberté. Si les ouvriers du Lancashire et des comtés voisins donnent en ce moment un si beau spectacle, le plus beau peut-être qu’on ait jamais vu, c’est sans doute parce qu’ils connaissent les lois de l’économie politique, mais aussi parce qu’ils sont pour la plupart soutenus par une piété sincère. Que M. Périn aille passer un dimanche à Manchester, à Liverpool, à Birmingham, à Leeds, à Sheffield, dans une de ces grandes villes manufacturières qui ne sont d’après lui que des théâtres de perdition, et il verra combien l’immense majorité des ouvriers anglais méritent peu les reproches qu’il leur adresse. Les sectes y sont nombreuses, il est vrai, mais toutes ardemment chrétiennes.