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l’empire de lui-même et qui le livreraient à des convoitises dont le remède se trouverait à peine dans un mariage prématuré, auquel manqueraient trop souvent les élémens matériels du bonheur domestique. L’église, en fortifiant l’homme contre lui-même, en l’armant contre les penchans les plus impétueux de son cœur, lui donne le moyen d’attendre, dans un célibat honoré par le travail et la chasteté, le moment de fonder avec avantage une famille. » Otez ce seul mot l’église, qui révèle le catholique, et vous croirez lire une page de Malthus.

M. Périn va plus loin, il invoque l’exemple du célibat religieux : « La grande institution du célibat religieux atteste, dit-il, mieux que toute autre la puissance du christianisme pour la régénération des âmes. C’est par elle que, sans poursuivre directement aucune fin relative à l’ordre matériel, l’église catholique met indirectement une limite à l’accroissement excessif de la population. » Encore un coup, Malthus catholique ne parlerait pas autrement. Je suis donc fâché de le lui dire, puisque ce titre paraît lui déplaire, mais M. Périn est malthusien. Il a beau chercher à nous faire prendre le change en nous parlant à tout moment de vice et de sensualisme quand il s’agit de vertu et d’abstinence. Pour combattre un Malthus imaginaire, il prêche la thèse du véritable Malthus. Il est rare que l’économie politique fasse appel à la loi du renoncement chrétien, tant prêchée par le professeur de Louvain, et au moment où elle y a recours, on lui répond par les plus sanglans outrages. Avais-je tort de parler d’inconséquence ?

Je m’étonne que M. Périn, qui aime tant à s’appuyer sur M. de Maistre, n’ait pas tenu compte de ce passage du Pape[1] : « Cette force cachée qui se joue dans l’univers s’est servie d’une plume protestante pour nous présenter la démonstration d’une vérité contestée. Je veux parler de M. Malthus, dont le profond ouvrage sur le Principe de la population est un de ces livres rares après lesquels tout le monde est dispensé de traiter le même sujet. Personne avant lui n’avait clairement et complètement prouvé cette grande loi temporelle de la Providence, que non-seulement tout homme n’est pas né pour se marier, mais que, dans tout état bien ordonné, il faut qu’il y ait une loi, un principe, une force quelconque qui s’oppose à la multiplication des mariages. » Suivant son usage, M. de Maistre exagère la doctrine de Malthus et lui donne une rigueur qu’elle n’a pas ; même sous cette forme outrée, il y adhère pleinement, parce qu’il y trouve l’apologie du célibat ecclésiastique, et ce passage n’est pas le seul de ses écrits où il exprime son adhésion.

  1. Livre III, chapitre III.