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l’esprit religieux a commencé. Si le commerce avait été puissant et actif au temps des croisades, le contact des peuples chrétiens aurait usé l’islamisme comme il l’use de nos jours, Constantinople n’aurait probablement jamais subi la domination du croissant. Ce n’est pas par la barbarie qu’on repousse la barbarie, et la guerre, quel que soit son but, n’est que barbarie. Au XVIe siècle, c’est une pensée religieuse non moins qu’une idée de conquête qui a poussé Christophe Colomb à la recherche du Nouveau-Monde, et qui a décidé la reine Isabelle à lui en fournir les moyens ; mais que serait devenue cette découverte, si le commerce n’avait suivi la trace du hardi Génois ? Croit-on que l’Amérique serait aujourd’hui ce qu’elle est ? Ne voit-on pas que, si l’économie politique avait été dès lors mieux connue, la civilisation y aurait fait encore de plus rapides progrès ? C’est pour avoir exterminé les indigènes de ce vaste continent qu’il a fallu avoir recours à l’esclavage des nègres pour le cultiver. La religion n’a pas suffi pour empêcher ce double attentat, et c’est notre siècle calculateur qui répare le mal fait par des siècles de foi.

Sur la question fondamentale de la population, M. Périn se sépare en apparence de l’économie politique. Il renouvelle contre Malthus les accusations banales et, j’ai regret à le dire, les calomnies qui poursuivent depuis cinquante ans la mémoire de cet excellent homme. Je me garderai bien d’entrer dans le détail des abominations qu’il étale comme les conséquences forcées du principe de Malthus ; contentons-nous de répéter pour la millième fois que Malthus n’a rien dit de pareil, et qu’il faut une imagination en délire pour lui prêter de semblables aberrations. Il a fait remarquer tout simplement ce fait mathématique, que, quand la population montait plus rapidement que la quantité des subsistances, l’insuffisance produisait la mortalité, et, pour parer à ce danger toujours présent, il a fait appel à la prévoyance. Parmi les moyens de contenir le progrès de la population, il en est un le vice, qu’il repousse avec horreur, et il arrive invinciblement à conseiller une vertu que la religion conseille aussi, la continence.

Le plus curieux, c’est que, tout en traitant Malthus comme un blasphémateur, M. Périn, poussé par la force de la vérité, conclut exactement comme lui. Seulement il attribue aux idées religieuses la puissance la plus forte pour contenir les passions ; Malthus n’a jamais dit le contraire, et c’est répondre à sa pensée que de faire venir la religion à son secours. « L’église, dit M. Périn, convie de toutes ses forces la jeunesse au travail ; elle entoure avec un soin paternel les premières années de l’homme de toutes les précautions qui peuvent écarter de son âme vierge encore le souffle impur du vice ; elle s’efforce de le soustraire aux passions qui lui ôteraient