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une société morte et qui a mérité de mourir ? Six siècles nous séparent de saint Louis, c’est chercher un peu loin nos modèles. Que s’est-il passé dans l’intervalle pour qu’on saute ainsi à pieds joints sur toute une moitié de notre histoire ? Si nous regardons à ces six cents ans, nous y trouverons que, tout compte fait, la somme du mal l’emporte beaucoup sur celle du bien. Le XIIIe siècle, qu’on nous vante avec raison, n’avait-il pas aussi ses côtés faibles ? Pourquoi ces jours brillans ont-ils été suivis d’une si sombre nuit ? Ce qui a fait défaut à la civilisation du moyen âge, c’est précisément l’économie politique : de là sa prompte décadence. Les pestes terribles qui répandaient partout la désolation montrent que l’hygiène des corps manquait absolument, et l’état des âmes ne valait pas toujours beaucoup mieux. Que de fraudes, de violences, de crimes impunis ! Le frein religieux n’a pas suffi, à défaut de garanties plus positives, pour contenir les passions des hommes ; l’esprit religieux lui-même a souvent disparu dans le désordre universel. Quel lugubre chaos que la fin du moyen âge, et dans des temps plus rapprochés de nous quel souvenir de haine, exagéré sans doute, mais toujours vivant, a laissé après lui l’ancien régime ! Il faut savoir distinguer dans le passé, et, en lui empruntant ce qu’il a de bon, l’approprier aux idées modernes.

L’écrivain catholique accepte pleinement le principe moderne de la libre concurrence, c’est la meilleure partie de son livre, celle où il s’affranchit le plus nettement des vieux préjugés ; il démontre les avantages qui en résultent pour la division du travail, tout en exprimant le vœu que l’esprit de justice et de charité adoucisse les rudesses de l’application. Rien de plus légitime qu’un pareil vœu. De ce que les économistes prêchent la libre concurrence, il ne faut pas en conclure qu’ils ferment les yeux sur ses inconvéniens. Un des économistes les plus radicaux de notre temps, M. Stuart Mill, s’est exprimé à ce sujet en termes assez nets : « Je ne suis pas, dit-il, de ceux qui croient que l’état normal de l’homme soit de lutter sans fin pour se tirer d’affaire ; que cette mêlée où l’on se foule aux pieds, où l’on se coudoie, où l’on s’écrase, et qui est le type de la société actuelle, soit la destinée la plus désirable pour l’humanité, au lieu d’être simplement une phase désagréable du progrès industriel. » A défaut de lois morales qu’il est toujours bon d’invoquer, l’expérience suffirait pour démontrer que la plupart de ces efforts violens manquent leur but, et que le véritable bonheur consiste dans la modération des goûts et le self government des intérêts. M. Périn fait remarquer en outre que l’esprit d’association est essentiellement chrétien, et que, pour lui donner toute sa force, rien ne remplace les garanties de moralité et de bienveillance réciproque. Pour modérer