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entier mis au pillage par une seule ville, une poignée de Romains oisifs consommant des trésors extorqués, le travail asservi, la misère universelle comme la corruption, et du sein de cet esclavage et de cette fange le christianisme sortant tout à coup pour prêcher la fraternité humaine et délivrer le travail. Ce rapprochement est toujours instructif, bien qu’il forme depuis longtemps une sorte de lieu commun pour les économistes. Voici entre autres ce que dit Blanqui dans son Histoire de l’Economie politique ; » Qu’est-ce donc aujourd’hui que la liberté civile, religieuse et commerciale, si ce n’est le développement de la pensée chrétienne ? Sans le principe nouveau de l’égalité devant Dieu, l’esclavage grec et romain infesterait encore le monde, la faiblesse serait toujours à la merci de la force, et la richesse serait encore produite par les uns pour être consommée par les autres, sans dédommagement. »

Au nombre des faits qui démontrent l’action puissante des idées religieuses sur la richesse, M. Périn cite à bon droit la prospérité de la France vers la fin du XIIIe siècle. En acceptant les évaluations de M. Henri Martin, fort peu favorable en général à l’état social du moyen âge, la France devait compter à l’avènement des Valois 25 ou 26 millions d’habitans, ou l’équivalent de ce qu’elle en contenait en 1789. Les magnifiques églises qui s’élevèrent partout à la fois, et que toute la puissance moderne aurait quelque peine à édifier dans le même temps, les cathédrales de Paris, de Reims, d’Amiens, de Chartres, de Rouen, de Bourges, l’église de Saint-Denis, et tant d’autres qu’il serait impossible d’énumérer, attestent un degré de science et d’activité qui étonne, en même temps qu’un développement original des arts. L’influence de l’église catholique pénétrait alors la société tout entière, et c’est à elle que revient surtout l’honneur de ce beau moment historique. Un roi que l’église a mis parmi les saints a donné son nom à ce siècle, où, suivant Joinville, le royaume se multiplia tellement par la bonne droiture que le domaine) censive, rente et revenu du roi croissait tous les ans de moitié.

L’exemple tiré des ordres religieux n’est pas moins frappant. Dans les siècles qui suivirent l’invasion des Barbares, les ordres religieux. ont sauvé le travail et la richesse, aussi bien que la foi et les lumières. Le nom de saint Benoît n’est pas moins grand pour l’économie politique que pour la religion. « Les moines de saint Benoit, a dit M. Guizot, ont été les défricheurs de l’Europe. » Ce que le polyptique d’Irminon nous a appris de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés sous Charlemagne montre quel était déjà à cette époque l’état agricole de leurs immenses possessions. Tous les historiens modernes ont rendu justice à cette colonisation monastique qui s’étendit