Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique repousse à son tour Mammon, non comme producteur, mais comme destructeur de richesse ; au lieu de violer le précepte, elle lui donne une nouvelle application.

Ce riche qui aura tant de peine à entrer dans le royaume des cieux, c’est le mauvais riche, celui qui a mal gagné ses richesses et qui les dépense mal. L’économie politique recherche la richesse collective, distribuée le plus également possible entre tous les membres de la communauté, et non cette richesse excessive des uns qui a pour conséquence nécessaire la pauvreté des autres et qui provient le plus souvent de la fraude ou de la violence. Il est sans doute fâcheux qu’on se serve du même mot pour désigner deux choses si différentes ; mais la langue est ainsi faite, et il est bien difficile de s’y tromper après tant d’explications et de commentaires. Pour confondre ce qu’enseigne l’économie politique avec ce qu’elle condamne, le luxe et la cupidité, qui sont des vices, avec le travail et l’épargne, qui sont des vertus, il faut un parti-pris d’injustice que rien n’excuse. C’est là précisément ce qui sépare l’économie politique de ces écoles trompeuses qui promettent à tous l’opulence et qui ne leur donnent que la misère. Science exacte et sévère, elle a appris par l’étude patiente des faits que dans les sociétés les plus riches la part des individus reste toujours faible, et qu’on peut travailler à l’accroître indéfiniment sans craindre de dépasser la mesure.

Croit-on que, si les enseignemens de l’économie politique étaient plus écoutés, nous verrions tant de gains énormes et subits sortir du monopole et du jeu, quand le véritable producteur n’obtient qu’avec peine une rémunération insuffisante ? Croit-on que nous verrions tant de trésors péniblement acquis se perdre dans des prodigalités improductives, quand le capital manque trop souvent au travail ? Le mauvais riche ne s’y trompe pas ; il sait que, si la religion le menace d’un autre monde, l’économie politique l’atteint dès à présent dans la source de son opulence, et il maudit ce nouveau Lazare qui ose se dresser devant lui.

Il est un autre genre d’équivoque qui ne prête pas moins à la déclamation. De ce que l’économie politique a pour but spécial l’étude des moyens qui peuvent satisfaire nos besoins corporels, on affecte d’en conclure qu’à ses yeux les hommes n’ont pas d’autres besoins ; c’est dire que pour le chimiste l’histoire naturelle n’existe pas, et que l’avocat doit nécessairement nier l’utilité du médecin. Chacune des études humaines se renferme dans un cercle circonscrit pour le mieux connaître, mais sans prétendre qu’il n’y ait rien au dehors. L’économie politique n’a jamais dit que la recherche de la richesse dût être exclusive ; elle sait que l’homme a d’autres besoins, des besoins supérieurs ; elle les respecte et les confirme, quand elle les