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à elle avec les mains pleines de produits similaires et à bon marché. Devant un pareil concurrent, la position de la Savoie est difficile, pleine d’anxiété et de malaise. Elle a quelque analogie avec celle qui a été faite à la France par le dernier traité de commerce avec l’Angleterre. Comme l’annexion, ce traité a surpris un grand nombre d’intérêts qui n’étaient pas prêts au combat pacifique. L’attitude de la France vis-à-vis de l’Angleterre est un enseignement. Que la Savoie prenne exemple de l’industrie française ramassant ses forces pour un plus grand effort et redoublant d’activité et de savoir devant son formidable concurrent de l’autre côté de la Manche. Nous savons que l’esprit savoyard incline à chercher ailleurs qu’en lui-même les moyens de supporter l’épreuve : il est bien français par sa tendance à faire sans cesse appel à l’assistance de l’état ; mais ce n’est pas en s’abandonnant lâchement à la direction de l’état, ni en réclamant ses secours à tout propos, que les peuples méritent les récompenses du travail et de la liberté. On éprouve peu de sympathie pour ces éternels assistés valides qui tendent une main pour recevoir ce qu’ils ont donné de l’autre, car le secours accordé, où serait-il pris, sinon dans la bourse du contribuable ? Demander l’intervention gouvernementale, c’est se résigner d’avance à la payer par une augmentation d’impôts, souvent par la perte d’un bien plus précieux, et l’on aurait mauvaise grâce à se plaindre des charges communes quand on tombe soi-même par sa lâcheté à la charge du public. Il faut le dire, au risque de blesser des susceptibilités souvent déplacées, la Savoie a commis cette erreur de logique : elle est entrée dans la famille française en tendant la main vers l’état et en faisant appel aux subsides par tous ses votes. De toutes les raisons qu’on a développées devant elle pour l’attirer, affinités de langue, de mœurs, de position géographique, elle n’a obéi qu’à une seule qui lui a été soufflée à l’oreille par des agens irresponsables, à celle d’un grand gouvernement qui viendrait à son secours, qui ferait ses ponts, ses routes, ses édifices civils et religieux. Elle recueille sans doute les avantages de sa nouvelle situation : les travaux publics ont reçu une forte impulsion, la main de l’administration se pose partout ; mais elle en recueille aussi des fruits parfois amers. Ce courant d’opinion défavorable dont nous parlions en commençant cette étude est peu agréable à l’amour-propre ; on fait en France le compte des sommes dépensées pour les nouveaux départemens, et, celles qu’on en retire n’obtenant pas la même attention, on arrive naturellement à la conclusion humiliante que ce sont des acquisitions bien chères.

Cette tendance à réclamer sans cesse les secours officiels n’est pas ce qu’il y a de plus propre, comme on le voit, à faire monter la