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combustible, que doivent porter les préoccupations de l’industrie. La houille manque dans le massif de Savoie. Les anthracites, qui abondent, ont le grave inconvénient d’engorger le haut-fourneau par leurs cendres et leurs débris réfractaires à la combustion. L’industrie métallurgique ne peut compter sur cette ressource avant que des inventions nouvelles qu’on peut prévoir aient changé radicalement le système actuel de construction des hauts-fourneaux. Reste donc le combustible végétal, le charbon de bois. Le développement industriel en Savoie n’a pour limite que la production de cet aliment précieux. Si la surface boisée peut en produire en quantité suffisante et à des prix modérés, l’industrie est sauvée, l’avenir lui appartient ; elle n’a plus à craindre la concurrence des fontes anglaises, car l’Angleterre, loin d’exporter ses fontes aciéreuses au charbon de bois, recherche avidement celles de l’Europe entière pour alimenter ses grandes fabriques d’objets d’acier fin. Les qualités qui distinguent les fontes de la Maurienne, la finesse du grain, la texture nerveuse et le groupement particulier des molécules, qualités qu’elles doivent autant au charbon de bois qu’à la nature du minerai, leur assurent une supériorité qui attirera toujours la demande intérieure et extérieure quand elles seront mieux connues. Il est, on le voit, d’un intérêt vital pour l’industrie de la Maurienne d’être parfaitement renseignée sur les forces productives de la surface boisée dans son rayon d’approvisionnement.

Si l’on réfléchit à la variété et à l’importance des intérêts qui dépendent de la richesse forestière, on ne peut que déplorer le fatal entraînement qui a porté les gouvernemens et les peuples, principalement les gouvernemens et les peuples de race latine, à gaspiller cette richesse. La race latine a été en effet prodigue de sa fortune forestière ; elle l’a dissipée avec une regrettable imprévoyance. Le magnifique manteau de verdure étendu sur les bords européens de la Méditerranée a été déchiré par ses mains. Elle a rivalisé d’esprit de destruction avec la race arabe sur les bords opposés, et de quelque côté qu’on entre dans ce grand bassin méditerranéen, berceau des civilisations, on aperçoit les hauteurs dépouillées, arides et nues. Il faut remonter vers le nord, dans les pays habités par les autres races, pour trouver le respect et la conservation des grandes étendues de bois.

Les domaines des petits souverains du Piémont et de la Savoie, suspendus aux deux versans des Alpes, ont longtemps formé comme un îlot de verdure au milieu de l’aridité des pays latins. Les vallées humides et profondes qui plongent d’un côté avec leurs torrens et leurs rivières sur la plaine italienne, et de l’autre sur la Suisse et la France, étaient encore à la fin du dernier siècle peuplées de forêts