Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/412

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus ni jour ni nuit : on attaquait la roche avec fureur du côté d’où venait le bruit, et d’aussi loin que la voix pouvait se faire entendre, on préludait à la rencontre par des injures homériques. La tradition a conservé parmi les habitans de Saint-George le souvenir des batailles souterraines livrées par leurs ancêtres, et ils parlent encore avec orgueil de ces luttes héroïques où, toutes lampes éteintes, les coups de poing et les cailloux pleuvaient dans l’obscurité de la mine.

Cette anarchie d’exploitation, qui n’est pas encore entièrement extirpée des Hurtières, a une racine historique très remarquable : elle remonte à la protection accordée par la maison de Savoie aux paysans exploitans contre les seigneurs des Hurtières. Considérée dans l’ensemble du rôle qu’elle a joué, la maison de Savoie a toujours eu un goût prononcé pour les petites gens, toujours attentive à leurs intérêts sans jamais heurter violemment ceux des grands. L’histoire de la mine des Hurtières fournit un exemple curieux de cette politique naturellement inclinée vers les intérêts des classes inférieures. Dans un acte de partage, en date du 23 juillet 1344, entre le seigneur des Hurtières et le comte de Savoie Amédée VI, celui-ci stipule pour lui et les paysans, nos et gentes nostras ; il leur garantit le droit de recherche et d’exploitation sur toute l’étendue de la montagne ; le seigneur du lieu ne pourra les troubler même sur la moitié qui lui échoit en partage. Trois siècles et demi après, le roi Victor-Amédée III, fidèle à la politique de sa maison, renouvelait la protection accordée aux paysans. Cet acte est intéressant à un autre point de vue : il montre l’origine des droits qui se partagent encore aujourd’hui les mines des Hurtières. Les exploitans actuels sont les successeurs directs des trois parties figurant au traité, le prince de Savoie, le baron des Hurtières et les paysans.

La succession de ces droits divers jusqu’à nos jours a été l’occasion des luttes les plus dramatiques. On y voit figurer au premier plan les anciennes familles du pays, les deux branches de la maison de Savoie et un roi de France, qui entrent tour à tour en compétition pour la propriété des mines ou pour les droits à prélever sur les minerais extraits. François Ier en 1536 revendique la propriété intégrale en sa qualité de successeur et d’héritier de son oncle Charles III. La revendication de cette propriété est évidemment contraire au traité de 1344, qui n’en avait attribué que la moitié aux ancêtres du duc de Savoie ; mais le roi de France n’avait guère souci des traités qui allaient contre son intérêt. Agresseur injuste de son inoffensif et malheureux oncle, il lui prit la Bresse et la Savoie du midi pour ouvrir l’Italie à son ambition, pendant que les Suisses, encouragés par son exemple, s’emparaient de la Savoie du nord. Il