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M. de Saussure a décrit en 1789 leur manière de travailler. « Ils ne mettent, dit-il, aucun art dans leur travail ; ils vont en avant sans boussole, sans aucun instrument de géométrie, suivant le filon quand ils le tiennent et le quartz quand ils le cherchent ; ils font des mines, ils font sauter le roc, l’étançonnent où cela est nécessaire ; mais rarement en ont-ils besoin, et ils le font avec plaisir, parce qu’ils croient que le roc tendre annonce ce qu’ils appellent des sales ou des masses considérables de minerai. »

La commune de Saint-George a joui du droit immémorial d’attaquer la montagne, droit qui dérivait de l’ancien principe que le fonds emporte le tréfonds. La commune étant propriétaire de la surface, chaque communier pouvait attaquer le sous-sol, y creuser une fosse et se l’approprier. Collective et immobilisée à la surface, la propriété se transformait en pénétrant au-dessous, devenait individuelle et transmissible par la vente ou l’héritage au même titre qu’un champ au soleil. La multiplicité des galeries, — des fosses, comme on les appelle, — creusées dans tous les sens et portant les noms de tous les saints du calendrier, atteste l’ardeur des paysans à s’improviser un patrimoine dans le sein fécond de la vieille montagne. Reliées entre elles par des galeries de raccordement et placées à la suite les unes des autres, elles formeraient un tunnel trois fois long comme celui qu’on entreprend sous les Alpes. Quelques-unes offrent des vides aussi grands que des cathédrales du moyen âge. Celle qui est appelée la Grande-Fosse a 120 mètres de hauteur et 200 de longueur. L’œil mesure avec effroi ces 240,000 mètres cubes de vide dont la lampe du mineur ne peut sonder les ténébreuses profondeurs, et cette immense excavation est pratiquée entièrement sur la couche minérale, qui était là d’une puissance extraordinaire.

En observant ces galeries innombrables, on ne tarde pas à découvrir la pensée commune qui les a dirigées : c’est une pensée de haine ; elles cherchent à s’éventer les unes les autres, comme des mines et contre-mines ennemies autour d’une place assiégée. Tous ces petits exploitans se faisaient une guerre acharnée. On voit souvent deux galeries d’un caractère particulièrement hostile se poursuivre sur un long parcours, développer dans la roche leurs replis tortueux, monter ou plonger ensemble ; se serrer toujours de plus près, et enfin se joindre sur le filon. Ce mode d’exploitation a reçu dans le langage des mineurs un nom qui exprime bien la chose : il s’appelle « travailler en bataille. » On travaillait en bataille lorsqu’on s’efforçait de prendre l’avance sur la galerie rivale. L’explosion de la poudre et les coups de masse sur la paroi annonçaient, l’approche de l’ennemi : les ouvriers redoublaient d’activité, le travail ne cessait