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a-t-on eu l’idée de rechercher des couleurs délicates et du plus vif éclat dans ce liquide noir et nauséabond, dont l’aspect seul, non moins que son origine, semblait exclure une pareille bonne fortune ? Le hasard, qui, lorsqu’il est bien observé, devient du génie, est le premier auteur de cette découverte extraordinaire. Le fait est que de ce goudron l’on retire un jaune, un rouge, un bleu, un violet, un vert, tous de la plus grande beauté, que dis-je ? plusieurs rouges, plusieurs bleus, plusieurs violets. Le jaune est l’acide picrique ; mais la grande affaire, c’est l’aniline, base que divers traitemens chimiques transforment en violet, en rouge, en bleu et tout le reste. On emploie plusieurs de ces couleurs aujourd’hui sur la plus grande échelle.

Comme si ce n’était pas assez, les élémens qui sont si singulièrement cachés dans le goudron de houille fournissent un autre corps doué d’une propriété précieuse, celle d’empêcher la putréfaction des matières animales : c’est l’acide phénique. Une solution qui en renferme un centième seulement suffit pour garantir de la pourriture les produits animaux. On commence à l’employer pour faire traverser l’Océan à des substances de ce genre, sans qu’elles se corrompent dans la cale en rendant le navire inhabitable à l’équipage. Il y a là probablement un moyen de développer les échanges de l’un à l’autre hémisphère ou entre toutes régions séparées par de longs trajets.

Une autre découverte très honorable pour son auteur, et de laquelle on a lieu d’attendre de beaux résultats, est celle de l’aluminium, due à M. Henri Sainte-Glaire Deville. L’aluminium par lui-même, a des usages qui lui sont propres, et qui avec le temps se multiplieront vraisemblablement. On a dit justement que c’est un intermédiaire entre les métaux communs et l’or et l’argent ; mais c’est par ses alliages principalement que ce métal nouveau semble appelé à rendre prochainement des services : en le combinant avec le cuivre, on obtient un bronze qui laisse bien en arrière celui que travaillait Lysippe, le même dont se servent encore les statuaires modernes, le même avec lequel se fabrique cet instrument terrible qu’on appelle la dernière raison des rois. Celui-ci est formé de cuivre et d’étain. Le grain du bronze d’aluminium est plus fin, la substance en est plus dure et plus résistante au frottement et au choc. On pourrait en faire pour l’armée des casques légers, pour l’industrie des coussinets (ou supports des arbres tournans) beaucoup plus durables que ceux qui s’emploient aujourd’hui, pour la science des instrumens de précision plus inaltérables que ceux de cuivre ou de laiton. On en ferait même, si le prix s’en abaissait, d’incomparables canons pour les champs de bataille : c’est ce qui résulte d’un essai qu’un de nos plus habiles manufacturiers, M. Ch. Christofle, a fait à