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tentatives de l’individu. L’année 1846, qui fut pour tant d’autres peuples une année d’agitations stériles et de catastrophes, marqua dans le royaume sarde le point de départ d’un mouvement admirable, qui sera l’éternel honneur du régime parlementaire inauguré par la branche cadette de la maison de Savoie. Le gouvernement de Charles-Albert déploya dans l’étude et la conduite des questions relatives à l’enseignement du peuple une énergie et une bonne volonté qui ne peuvent se comparer qu’à celles du gouvernement du roi Louis-Philippe après la loi de 1833. Le recensement avait découvert en-deçà des monts 44 individus sur 100 qui ne savaient ni lire ni écrire, 65 en Piémont, 75 en Ligurie, 94 dans l’île de Sardaigne. On courut au plus pressé. Il fallait avant tout s’assurer des instituteurs éclairés, intelligens. On créa une école normale ambulante qui se transportait d’une province à l’autre. Elle arrivait en automne au chef-lieu pendant la vacance des écoles, et de tous les points de la province accouraient les instituteurs, redevenus élèves. À ces écoles temporaires et improvisées à la hâte succédèrent les véritables écoles normales, fondées sur le plan de celles de la Prusse, où le Piémont, qui ambitionnait en Italie le rôle que cette puissance joue en Allemagne, alla chercher souvent ses modèles d’organisation de l’enseignement primaire. En huit ans, plus de 1,000 instituteurs et institutrices en Savoie et 9,000 dans le reste de l’état sont sortis de ces diverses institutions avec un diplôme de capacité. Toutes les communes furent pourvues d’écoles publiques en sept ans, et le nombre des élèves des deux sexes en Savoie s’éleva de 37,025 en 1850 à 82,515 au mois de janvier 1858, chiffre qui donne 1 élève par 6 habitans, proportion qu’on ne rencontre que dans les pays les plus avancés, en Prusse et aux États-Unis d’Amérique..

C’est à l’occasion de ces généreux efforts pour élever le niveau de l’instruction primaire qu’a commencé à se dessiner en Savoie ce qu’on a plus tard appelé la » réaction cléricale, » coalition confuse des influences qui avaient régné depuis 1815 ; hobereaux, prêtres mécontens, petites individualités irritées contre le régime libre, qui d’ordinaire réduit chacun à sa valeur et à sa taille, sans principes politiques du reste et sans autre lien qu’une répugnance commune à subir les conséquences légitimes de la charte constitutionnelle. Le rôle que cette réaction a joué en Savoie remplit toute la période parlementaire. Elle essaya d’abord ses forces pour s’opposer à la sécularisation de l’enseignement, impérieusement réclamée par l’opinion publique au lendemain de 1848. dès lors, sur toutes les questions que le progrès introduisait dans la discussion publique et au parlement, elle a combattu, elle a résisté, elle a soulevé des agitations