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Tong-kéou fut enlevé sans pertes considérables. Un assez grand nombre de chasseurs à pied furent touchés cependant par les balles ennemies et contusionnés. Dès le commencement de l’action, le lieutenant-colonel Crouzat fut blessé grièvement à la cuisse par un accident malheureux ; son cheval, effrayé par le sifflement d’une fusée, se cabra et le jeta par terre. Dû côté de l’ennemi, des hommes. furent tués, d’autres blessés.

La ville du Tribut était un magasin considérable pour l’armée annamite. La chute de ses forts fit tomber en notre pouvoir quatorze cents tonnes de riz, de la poudre en quantité, des projectiles, des lances, des hallebardes, de petits canons, vingt grosses pièces en fonte du calibre de 16, des équipemens militaires et de la monnaie de zinc. L’armée annamite, suivant son habitude, avait enlevé presque tous ses blessés, dont la plupart étaient ceux de Ki-hoa. Les murs des maisons où l’on campa étaient souillés de sang.

Au-delà de Tong-kéou se trouvait Oc-moun, qui fait un commerce considérable de feuilles de bétel, et cultive en grand la plante grimpante qui les fournit ; puis vient Rach-tra ou Tay-theuye. À trois heures de l’après-midi, le mouvement en avant fut continué. La route se dirigeait droit sur Tay-theuye : elle était encaissée entre des arbres d’une élévation moyenne, et dont le feuillage terne et roussi, couleur de tôle rouillée, n’annonçait pas l’exubérante végétation des tropiques. La chaleur seule révélait le ciel de l’Inde ; elle était torride. Un sable impalpable, abondant et brûlant, remplissait ce sentier d’une largeur inégale. La marche était incertaine et mal réglée. Ce jour-là, des hommes tombèrent morts de chaleur, d’autres devinrent fous.

Quelques maisons bordaient la route, ruinées par l’armée annamite en déroute. Les habitans, cachés dans les taillis à quelques. centaines de mètres, se montraient quelquefois entre deux bouquets d’arbres, et s’éloignaient aussitôt avec frayeur. Sur le seuil de leurs maisons dévastées, ils avaient déposé à l’ombre des cruches de terre noire remplies d’eau. La soif fut plus forte que la crainte du poison. Le soir, quelques-uns de ces paysans se familiarisèrent et proposèrent aux soldats de les aider pour transporter les hommes qui étaient tombés.

Vers cinq heures, les premières troupes entrèrent dans le fort de Thay-theuye, qui était abandonné. Il renfermait de l’argent, un lot considérable de sapéques et trois pièces d’artillerie. Ce fort commandait la route qu’on venait de parcourir et le prolongement de cette route, qui s’enfonçait sur une chaussée jusqu’aux limites du Cambodge. Une pièce braquée en enfilade semblait placée là pour témoigner de l’importance de la position dont on venait de s’emparer. Là se terminaient les bois d’Oc-moun. Un plateau où s’élevaient