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principale, le front et les flancs de Ki-hoa. L’ennemi laissa trois cents cadavres dans les compartimens de droite et de gauche. C’étaient pour la plupart des soldats du Tonquin, plus forts et plus grands que les Annamites de la Basse-Cochinchine : leur visage avait conservé, même dans la mort, une expression d’énergie très accentuée. Le contre-amiral Page, suivant le plan tracé d’avance, avait brillamment enlevé tous les forts qui commandaient le cours supérieur du Don-naï. La division placée sous ses ordres se composait de la Renommée, du Primauguet, du Laplace, du Forbin, du Monge, de l’Avalanche, de la Mitraille, de l’Alarme, du Lily, du Sham-Rock, des canonnières 18 et 31. Presque tous ces bâtimens furent touchés par l’ennemi ; ils eurent des hommes tués ou blessés.

Le commandant en chef établit son quartier-général dans le réduit du Mandarin[1]. Les troupes, après avoir repris leurs sacs, furent casernées dans les logemens annamites, qui formaient une longue rue dans la partie septentrionale du camp. La moitié des blessés environ furent immédiatement évacués par Caï-maï sur l’hôpital de Cho-quan ; les autres furent reçus dans une ambulance établie à Ki-hoa. Le soir même, les convois avaient tiré de la redoute de Caï-maï une quantité de munitions égale à celle qui avait été consommée le matin, et trente mille cartouches qui devaient former un dépôt de munitions à Ki-hoa. La pointe que l’armée allait pousser sous peu de jours dans le haut du pays nécessitait l’établissement d’un parc intermédiaire entre elle et Caï-maï.

La conduite des Annamites dans l’assaut de Ki-hoa présente une grande singularité ; elle est une preuve de leur merveilleuse flexibilité dans le courage. Là fut accepté ce face-à-face qui trouble si fort les Asiatiques qu’ils ne songent alors qu’à mourir, non plus à se défendre. Comment expliquer en effet, si ce n’est par l’infériorité de la volonté chez les races de l’Orient, ces succès, toujours les mêmes, de quelques centaines d’Européens qui marchent en avant et renversent des milliers d’ennemis qui sont braves ? L’infériorité des instrumens de destruction ne fournit pas une explication suffisante, car il est certain que, la lutte étant acceptée jusqu’à des distances assez réduites, cette infériorité diminue, et qu’une mauvaise escopette tue aussi bien à dix pas qu’une carabine à tige. La journée du 25 février, où les Annamites ne cédèrent pas le terrain et où un grand nombre d’entre eux se firent tuer sur leurs banquettes, présente donc un caractère presque unique. Ils parurent persuadés d’abord que les Franco-Espagnols échoueraient au milieu des trous de loup, ensuite qu’ils les obligeraient à rétrograder à coups de lance,

  1. Au centre de ce réduit, dans une pièce d’eau, il y avait un caïman de taille moyenne qui paraissait conservé là comme un animal de luxe.