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d’arbres rabougris, à une végétation jaune et herbacée. Tout est stérile et triste, brûlé par le soleil : les tumulus, les tombeaux enluminés et peints à fresque, arrêtent seuls le regard. Cet immense champ des morts est la plaine de Ki-hoa. Là sont les lignes annamites, dont le faible relief se confondrait avec la couleur de la terre, s’il n’était indiqué par quelques cavaliers et par des miradores.

La ville chinoise, connue dans le pays sous le nom de Chô-leun, qui est un nom chinois, s’étend pendant une longueur de 2 kilomètres sur les rives de l’arroyo. Son aspect est animé par un mouvement considérable de coulies chinois et annamites qui transportent sans cesse leurs charges de riz, de monnaie de cuivre, de chevrettes, et de poissons séchés. Les toits en tuile rouge se détachent vivement entre les touffes d’aréquiers, dont les troncs droits et cannelés semblent avoir servi de modèles aux colonnes corinthiennes. La perspective qu’on découvre au premier détour de l’arroyo ne manque ni de grâce ni d’élégance, Des ponts, en grand nombre, rejoignent les deux rives. À mesure qu’on s’éloigne de Saïgon, les jardins deviennent plus grands, les maisons de plus en plus isolées et solitaires. Chô-leun ne ressemble pas plus à une ville européenne qu’à une ville chinoise ou annamite : on dirait une agglomération de fermes opulentes. Au fond des cours des maisons chinoises, sans que la vue soit masquée comme en Chine par un pan de mur qui se dresse droit en face de chaque porte, on distingue aux heures des repas trois tables dressées et disposées en triangle. Celle du fond, la plus élevée, est occupée par le maître, ses enfans, ses amis et le premier des serviteurs : les coulies mangent aux deux autres. Cette vie en plein air a quelque chose de patriarcal. Sur l’arroyo, le mouvement est continuel. Les bateaux sont pressés côte à côte, et ne laissent entre eux qu’un étroit passage. Quand la marée est basse, il ne reste plus qu’un ruisseau à peine suffisant pour les barques plates ; les autres barques s’échouent sur les bords avec insouciance et toujours sans dommage. Ces petits navires destinés au batelage d’eau douce sont recouverts du beau vernis du pays qui leur donne un air d’aisance.

Cette ville chinoise est la clé de tout le commerce de la Basse-Cochinchine. Qui la tient a dans les mains le plus puissant moyen d’action sur les peuples de cette partie de l’Annam. Les redoutes des Clochetons et de Caï-maï nous en assuraient la possession ; le cours d’eau était commandé en outre par une torcha mouillée à l’entrée de la ville, le Jajareo, dont le capitaine était un enseigne, et le second, par un des accidens de cette guerre singulière, un sous-lieutenant d’infanterie de marine. La ville de Chô-leun est de construction ancienne ; les Chinois qui l’habitent sont divisés en congrégations,